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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Kumisolo & Belgradeyard Sound System, hier soir, aux Voûtes

Ce jardinet où l'on voit chien méchant
Ça sent si bon la France

Maurice Chevalier

Découverte tardive, et alors que le quartier d'affaires flambant neuf les entoure désormais totalement de ses façades en verre fumé — me rappelant le sale front de Seine de Levallois —, des Frigos, cette estimable friche, et labyrinthe fascinant dont l'entrée cradingue évoque celle d'une faculté roumaine. Couchée à son flanc nord, la petite salle de concert des Voûtes abritait censément hier un concert des deux larrons de Berg Sans Nipple, acoquinés à un troisième sous le nom de Capricorn Band. On ne les verra pourtant pas, ils seront remplacés par l'heureusement courte pantomime d'un enfant gâté et faux épileptique maltraitant une pauvre guitare électrique — qui aurait d'ailleurs porté plainte — entre deux concerts passionnants.

Kumisolo, d'abord. Parsemé dès le début de fautes techniques, d'approximations et de choix esthétiques pour le moins déroutants, le show hilarant et touchant de cette Japonaise vêtue comme une écolière et s'excusant de sa maladresse après chaque morceau (« C'était un petit peu trop aigu. », ou encore « Je m'excuse, je vais essayer d'être plus sérieuse. ») fut une bouffée de fraîcheur. C'eût pu tourner à la catastrophe embarrassante. Je n'avais jamais vu un barbu accroupi s'emmerder à ce point-là derrière un ordinateur portable et une mixette. Ah, la tronche qu'il tirait (sinistre et cernée) et les lentes mimiques de désappointement qui lui échappaient constamment pendant ce concert objectivement raté ! De transpositions en toc en bonnes vieilles fausses notes, de voix tremblante en chorégraphie karaoké, le cauchemar de Raphaëlle Ricci s'incarna hier soir et la nouvelle est réjouissante. Une sensation comparable s'était emparée du même genre d'auditoire restreint, conquis et interloqué lors d'un concert catastrophe du comique troupier Casiotone For The Painfully Alone à Barcelone en 2004.

Cependant, conseiller Kumisolo au second degré, pour de rire, est banni : évidemment, personne n'a encore osé lui annoncer qu'une de ses mélodies enfantines était la même que celle de l'hymne expérimental Frère Jacques, mais ce petit concert bancal regorgeait de surprises musicales réjouissantes, comme sur le morceau de rappel (hein ?) ces serpentins de mandoline désaccordée, mal planqués derrière le furieux fingerdrumming de Kumi, pains compris, et quels pains, mes aïeux ! Le sourire aux lèvres comme à chaque fausse note, elle y fit passer un stock de bâtards entier...

Passons donc par charité athée sur le spectacle confondant offert en guise d'entracte, qu'une très jolie métisse frisée compara à du... Sonic Youth (ben oui : c'était bruitiste, quoi). Thurston Moore s'en est retourné dans sa tombe. Et la jolie fille balança deux trois sourires, ce qui ne mange pas de bâtard.

Le peuple de Paris est trop con pour le Belgradeyard Sound System, auteur d'un concert impeccable pendant que les deux tiers de la salle se vidaient puisque, sans doute, ces rythmiques asymétriques (9/4, 17/4 même : ouh les gros vilains ! Je prends des explosions dans la tronche en permanence mais je ne comprends pas d'où elles viennent et ça m'agace ces gens qui ne savent pas compter en base 4, fuck that !) et cette mise en place parfaite n'étaient pas assez de la merde bruitiste incohérente pour le public. Tant pis pour lui. Ces Serbes à la science du rythme bousculante, d'obédience jazz et qui jouaient très fort ravivèrent sous la voûte les esprits d'Amon Tobin et Red Snapper (époque Prince Blimey : téléchargez ça au plus vite, c'est épuisé) pour une quinzaine de chanceux qui en ont redemandé.

Il y avait, comme toujours, de la vidéo en arrière-plan, et je n'y ai pas jeté un œil tant les quatre musiciens étaient pénétrés de leur musique. Les amateurs de technique, de pistons et de carbus (le pitch et le poutch) apprécieront la présence sur scène d'un saxo, d'une belle contrebasse électrique, d'un Kaoss Pad et... que vois-je ! réjouissance suprême ! de deux portables bruns tournant sous Windows ! Serait-ce enfin l'annonce de la mort des pommes systématiques sur les scènes du monde entier, en commençant par celles de Paris ? En tout cas ces PC-ci balançaient des rythmes un chouïa plus brûlants que ce que le Mac moyen diffuse habituellement. (Ah, un peu de réaction informatique, c'est toujours bon à prendre. « Pourtant, que le Mac est joli ! »)

Le jeu des références est certainement le seul capable, au fond, de vous faire sortir de chez vous. Pendant ce concert, outre aux suscités acteurs de la scène crypto-électro, j'ai aussi beaucoup songé à Badalamenti et Herbie Hancock.

Le Belgradeyard Sound System se produit incessamment à Marseille puis à Toulouse (prends toujours ça, l'Occitan ! ça te changera des troubadours). Faire un triomphe à ces Serbes de ma part ou de la vôtre serait apprécié.

Les lieux du délit ? L'Embobineuse (19 septembre) et le Mandala (le 20). Il y aura plein de bonnes meufs à soûler, c'est sûr.

Nikita Calvus-Mons le 16/09/06 à 17 h 26 dans Musical-traître
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Commentaires

De mémoire, Le Chagrin et la pitié se terminait précisément sur ce petit air si de son époque de M. Chevalier (à moins que l'époque ne se fût finalement calée sur cet air-là, va savoir).

Mais où vas-tu chercher ça ?

Un soubressaut tardif au décès récent de Christian de la Mazière ? Je t'avoue que j'en ai raté l'annonce.

(Dans ce même film, celui-ci usait justement d'un caractéristique « à l'époque... », avec palatalisation appuyée du [k] final, qui fait que je ne peux désormais entendre l'expression ni l'employer sans le voir, lui, parlant dans son salon avec Ophüls [ou Harris, je ne sais plus].)

Lee Beria Jr - 21.09.06 à 19:17 - # - Répondre -

Re:

C'est qu'en ce moment la déprime consubstantielle à l'achèvement d'un cycle, pour parler comme Élisabeth Teissier, m'accable. Et je cherche donc à m'amuser à peu de frais.

En période plus gaie, une chanson (et l'affreuse gouaille populiste) de MC me les met littéralement à zéro : frissons de frayeur antifasciste assurés. J'ai trois morceaux de ce gros con sur iTunes, non, quatre ! et chacun a pour toile de fond un caractère du génie français :

Ah ! si vous connaissiez ma poule, déclaration d'amour de la pétasse-objet « qu'y z'en ont pas des comme ça à Liverpooooooool » ;
Ça sent si bon la France, donc, sorte de proto-Douce France encore plus rance ;
Ça fait d'excellents Français, mon préféré, le titre valant peau de zobi sur l'échelle du militarisme à côté du refrain, glaçant, et écrit en 1938, si je ne m'abuse ;
Prosper, enfin, avec son fameux « yop la boum ! » primesautier. Les pauvres rappeurs d'aujourd'hui (double pléonasme), avec leurs pimperies (le simple culte du maquereau, hein), n'atteignent pas la cheville de ce Chevalier-là.

Pourquoi tout ceci ? Intérêt documentaire, évidemment ! En revanche, Faubourg Saint-Denis, de Mistinguett, est un vrai bonheur, car elle faisait moins de politique. Une femme, quoi...

Mince. La boulette.

60millions - 21.09.06 à 19:46 - # - Répondre -

Re: Re:

C'est peut-être Gosse de Paris, la chanson de Mistinguett. Mais le refrain, en tout cas, fait bien

Je suis née dans le Faubourg Saint-Denis
Et j'suis restée une vraie gosse de Paris

60millions - 21.09.06 à 19:53 - # - Répondre -

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