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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

La crue de l'année

— Le matin, sous la douche, je simule la mort. Comme dans les films où les butés ont le sang qui reflue par la bouche : je fais idem avec la flotte. Ça m'excite un peu. Je bois direct au pommeau, sans avaler, et la tête plus ou moins penchée, je laisse rebondir l'eau, refluer, donc, une sorte de gargarisme, mais passif, sans aucune action de la langue. C'est bien la langue qui produit le gargarisme, non ? Attends... (Elle lève la tête et se fait un gargarisme à l'air poisseux du troquet, pour essayer de comprendre le mécanisme, qui est normalement instinctif. J'ai une envie brusque de l'embrasser. Qui passe. Elle reprend son discours :) Enfin, qu'est-ce que je disais déjà ? Ah oui, voilà, je me gargarise à l'eau chaude de la douche, mais sans la langue, sans rien faire. Le plus passivement possible, vraiment. Tu vois ce que je veux dire ? C'est pas dur. On fait tous ça. L'eau coule chaude, lentement, sans tarir. Je me figure alors que c'est du sang. L'effet que ça ferait de crever comme ça, dans un accident de bagnole... ou shootée par un enculé... crever après deux minutes d'espoir. Et puis non : merde, c'est fini, je sens « comme elle coule, la rivière de sang chaud » (là, la voilà qui fredonne), par les commissures, ou alors quand je rebaisse un peu la tête, ça inonde le menton. Deux flux aux commissures, symétriques, ou alors un seul sous le menton, deux fois plus large. Mais toujours aussi chaud, la même chaleur, très douce, lancinante... C'est quoi le mot, déjà ? Lénifiante ? Non... trop négatif... Enfin tu vois, quoi...

Le monologue de cette fille est troublant. C'est à une table de bar, nous ne sommes pas seuls, je la connais à peine et elle me raconte ses histoires de reflux sanguins, ce qui m'empêche de regarder autre chose que sa bouche... Ça fait un peu Georges Bataille du pauvre, je trouve. Je suis touché, néanmoins, par cette histoire de flux, d'hémorragie qui prend des chemins différents selon l'inclinaison de la tête.

Ça me rappelle quand je pisse contre un mur : il m'est toujours rigoureusement impossible de prévoir correctement la forme des canaux que tracera la pisse, résultat je me mouille les semelles ; la mécanique des fluides est impénétrable.

Nikita Calvus-Mons le 04/10/06 à 09 h 46 dans Littéraire-traître
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