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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Sans queue ni tête

Aligner les boulevards Ornano et Barbès, puis Magenta, couper celui de Strasbourg devant la gare de l'Est, emmancher la rue du Faubourg-Saint-Martin, celle de Turbigo, plonger le taxi dans les entrailles des Halles, en émerger comme une bille de flipper sur le pont Neuf, un petit coup à droite sur le quai avant de prendre la corde à gauche rue Guénégaud, à gauche encore rue Mazarine, faire s'arrêter le chauffeur ; j'avais fait comme à chaque fois un pari avec moi-même sur le montant de la course, je suis gagnant d'un euro ; ce petit jeu m'occupe depuis dix ans, mine de rien. Toute la rue Mazarine fait la fête, moi je sors d'une fête aussi, montmartroise et tranquille, beaucoup trop tranquille pour assécher ma misanthropie galopante ces temps-ci, fête d'où je suis parti au bout d'une heure, peut-être deux, sans pouvoir toucher un mot à la jolie blonde au regard triste ; sans vraiment rigoler, malgré quelques tentatives avortées de chat-bite qui n'ont pas fait rire grand-monde. Le seul plaisir, dans ces cas-là, réside dans la traversée aller-retour de Paris en taxi. Une came qui en vaut pas mal d'autres. J'ai répondu non à V. quand il m'a dit : « Tu rentres, tu vas coucher cette soirée sur ton blog ? » J'étais sincère, je ne fais (presque) jamais ça, quel intérêt, et puis envie de me coucher seulement, de finir ces Grands Singes palpitants ; mais me voilà en fait, avec ce texte dérisoire, sans sexe, sans drogues, sans rock 'n' roll, sans queue ni tête, quoi. Comment s'oublier sans tout ça ? Dans ces fêtes feutrées sans décibels, sans séduction, sans le moindre excès ? Autant rester chez soi devant Ruquier, ce que je n'ai pas pu me résoudre à faire. Alors voilà, un aller-retour en taxi, c'est déjà pas mal. Il y avait, sinon, quand je suis arrivé à Montmartre, un incendie rue André-del-Sarte et une fille énervée engueulait deux gamines inconscientes, que ça faisait rire, un peu d'action : « C'est pas drôle et c'est pas la téloche ! » Hier soir, au Piano vache, une très jolie fille de dix-neuf ans, animatrice de son état (colonies, centres aérés, etc.), me confiait que la génération qui venait était encore pire que prévu : à huit ans ces petits enculés ne condescendent, en cas de pénurie, à partager leurs goûters qu'après les avoir léchés entièrement pour décourager les petites filles. Je répondis à cette babe d'origine chilienne, à la conscience politique supérieure à la moyenne, que c'était pareil dans les années quatre-vingts. Les enfants sont des empaffés. Ensuite, elle m'a expliqué à quel point elle avait hâte de voter, dans six mois. Je n'ai pas pu lui mentir et feindre l'enthousiasme. Chose étonnante, elle a compris mon point de vue d'abstentionniste, alors qu'elle avait entamé une petite diatribe du style vote utile. Je l'ai surprise. Mais elle n'était pas idiote, loin s'en faut, et il faut dire que déjà à dix-neuf ans son vote préféré est le blanc, ce qui en dit long, même moi j'ai voté rouge la première fois, une couleur, au moins ! Elle votera peut-être vert, ceci dit, ce que je comprends. Elle était jolie à un point, cette fille ! Jolie, politique et désespérée, sans le savoir encore.

Nikita Calvus-Mons le 12/11/06 à 04 h 29 dans Social-traître
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