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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Seul et con sans toi

Il n'a pas dit « tu me manques » depuis des années. Ne l'a pas pensé, depuis C., qui lui a manqué cruellement, mais c'était il y a si longtemps qu'il a oublié cette peur-là. Voilà maintenant que le temps a passé et voilà que se présente A. à qui il donne si peu, trop peu, qui lui en veut terriblement, et il constate qu'elle lui manque et que c'est limpide.

Une boîte de Pandore a été ouverte et la haine qui y était contenue (haine de lui, d'eux deux, d'elle-même, il n'en sait rien... il le sait trop au fond) l'a fait chanceler : un coup violent, comme dans l'estomac. Le souffle coupé. Le souffle, en fait, envolé d'un coup, comme une crevaison de l'âme. L'absence commence son travail familier, mais oublié depuis tant d'années. « Ah, oui, c'était comme ça, je me rappelle. » L'affaiblissement du corps et de la volonté. Léger mais insidieux.

Alors une soirée mondaine de plus, pour oublier. Le sourire de façade, alors qu'il s'ennuie, s'emmerde, se fait chier, tartrir. Mais ne pas se complaire dans le malheur (d'opérette). Jamais plus. Déjà fait, dans ce passé qu'il ne regarde plus que comme une curiosité. Il a changé. Endurci. Bourru peut-être. Du bon gros cliché, encore. La vie : morfler, se relever, devenir solide, stupidement. Mais ce soir, à nouveau, qui revient, le besoin naturel de se confier, le besoin de parler d'elle au premier venu. Pour comprendre. Pour la maintenir en vie dans son esprit. Puis le retour à la maison, seul. Il se sent seul, ne s'est, en réalité, jamais senti aussi seul — la solitude son horizon indépassable. Ça le surprend, mais d'une surprise toute molle, ternie par l'éclat du manque. Un étonnement de dépressif. Le vrai manque. L'envie d'appeler, de pleurer : « Où es-tu ? Que fais-tu ? Je t'en veux. Tu me manques. » Elle lui manque. C'est le mot-clé, qu'il va ressasser cette nuit peut-être, sordidement, incapable de s'immerger dans son roman — Philip K. Dick, pourtant —, se demandant, déjà ce vieux schéma honni, ce qu'à la même seconde elle est en train de faire ou penser. Il va quand même se coucher, éreinté, mais incapable de dormir, plus seul que jamais, avec un volcan de doutes dans la tête, et la vague impression de mériter ce qui lui arrive. Foutue culpabilité, qui revient le hanter alors qu'il pensait s'en être débarrassé pour l'éternité, et sans faire d'effort. Oui, il se sent coupable de mal l'aimer, de l'avoir aimée de travers, et justifie ainsi le déferlement de sa haine, à elle. Il sait pourtant qu'il se trompe, qu'il n'a rien fait qu'il aurait pu faire différemment ; qu'il a beaucoup dit, avec beaucoup de sincérité ; qu'il s'est dévoilé, mis à nu. Que cette haine qu'elle envoie est injuste. Qu'elle aurait dû parler, davantage. Qu'il était là pour cela.

Mais que donne-t-il, au fond ? Et n'est-ce pas exactement ce qu'elle lui reproche ?

« Pourquoi tant de reproches refoulés, bordel de merde », dit-il tout haut avant que j'aille le border. Car c'était moi (et c'était elle — rires enregistrés).

Nikita Calvus-Mons le 03/02/08 à 04 h 23 dans Social-traître
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