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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Un but de Kaka n'est pas un but de merde

Étrange affaire, cette Coupe du monde. Et ce sport dont tout le monde parle sans souvent en comprendre quoi que ce soit.

Regardez, ce soir, ce tir de Kaka, le but brésilien contre la Croatie. On entend dans le bar, lorsque le ralenti passe, des : « Oh, la frappe de mule ! ». Je m'excuse, mais c'est au contraire une frappe du plat du pied parfaitement placée, tout l'inverse conceptuel d'un tir du cou-de-pied de trente mètres (citons par exemple comme émules de cette technique Koeman, le bourrin néerlandais, ou William Prunier, le bourrin français, ou même Roberto Carlos, qui la frappe un peu de l'extérieur pour frimer mais au fond, quelle différence, Bob ?). Bref : de frappe de mule, il n'y a pas ! L'auteur de cette saillie est visiblement un inculte du football. Ce qu'on appelle, sur certains forums autorisés, un footix1 : quelqu'un qui a découvert qu'il aimait ce sport le 12 juillet 19982, qui ne l'aime au fond pas vraiment, mais qui est toujours — vous vérifierez — la plus grande gueule dans un bar diffusant une partie de soccer.

Il y a cependant plus con qu'un footix : un supporter. (Le supporter est toujours le plus con. Comme disait Gary Lineker, numéro 9 anglais emblématique des années 80 : « Le football est un jeu qui se joue à onze contre onze avec un ballon, et à la fin c'est l'Allemagne qui gagne. » Moi je dis : « Jouer au con est un jeu dangereux, mais à la fin c'est toujours le supporter qui gagne. » Toujours. Même un supporter qui se croit intelligent, question de CSP. Et pourquoi le supporter est-il toujours le plus con ? Parce qu'il est patriote, aveuglément. Ou pire : qu'il a l'esprit de clocher. Bastia-Ajaccio : deux morts3.)

Le supporter et le footix se détestent. La grande théorie du supporter, c'est que même dans les moments difficiles, il faut soutenir son équipe. Lui-même, entre 1987 et 1994, pendant la période noire de l'équipe de France, n'en avait plus grand chose à foutre, comme vous et moi, mais ça ne compte pas. On est toujours le footix de quelqu'un, au royaume merveilleux des footeux.

Adoncques, pourquoi aimer le football, sport de la majorité, donc des cons ? On ne sait pas vraiment. L'enfance ? Elle joue un rôle, majeur. Le quart de finale des interclasses au collège Guy-Debord, entre la 6e B, spécialiste du coup franc brossé psychogéographique, et la 6e D, maîtresse dans l'art de l'ouverture millimétrée conseilliste, a laissé des traces chez tout le monde. De profondes blessures, chez pas mal d'artistes au corps malingre, pas foutus de taper un six mètres (le genre Jarvis Cocker, ou alors5 chanteur de rock neurasthénique américain — sauf qu'on comprend mieux le mécanisme américain de refus de jouer au ballon, vu le sport d'abrutis qu'est leur football, qui se joue à la main, preuve supplémentaire de l'incurie yankee, mais on n'en avait pas besoin, ils ont déjà Sofia Coppola).

La plupart des spectateurs d'un match de football est totalement incapable de pratiquer ce sport. Ces gens, car c'en sont (et Dali l'a !), n'ont aucun début de théorie sur le jeu ; sans parler même de théorie, ils ne savent même pas un instant ce qu'ils en attendent. Du reste, les gens qui ont été voir Marie-Antoinette au cinéma et ont apprécié le film n'ont, eux non plus, aucune idée de ce qu'ils attendent du cinéma en tant que, disons, mode d'expression. D'où : la discussion de comptoir, pas plus brillante quand il s'agit de discuter la non-sélection de Ludovic Giuly que quand son sujet central est : « Est-il judicieux de coller une paire de Converse dans un film en costumes et si oui, pourquoi ? ». Foot ou cinoche : au comptoir, au bureau, dans le lit conjugal, les avis autorisés des inaptes prospèrent et nous n'avançons guère.

Soit Yau-de-Bigl, citoyen martien (maillot vert Manufrance), tout juste débarqué sur notre planète, en goguette en bord de Marne, ne pigeant rien au football, cette liturgie terrienne, mais curieux de tout, espiègle, ouvert, bref le type sympa. Interrogeant Céline, chômeuse ordinaire à petits seins : « Qu'attendez-vous du cinéma, vous autres, Terriens ? » Céline est bien emmerdée, bafouille : « Euh... J'sais pas. Qu'ça m'divertisse ? Qu'ça m'fasse oublier les soucis du quotidien ? Un pot de pop-corn puant ? » On le voit, Céline ne sait pas. Elle s'en cogne. C'est pour cette raison qu'elle trouve audacieuse Sofia Coppola, par exemple. Et elles sont des millions, comme elle.

Le footeux de base est pareil. Il ne connaît rien au foot, ne comprend rien à l'éthique du jeu, mais va voir les matchs, sans La preuve par l'image. Kaka, numéro 8, du plat du pied dans la lucarne.jamais quitter le ballon des yeux, alors que les trois quarts du jeu se passent autour, et hurle « Putain la frappe de mule ! » sur le ralenti d'un tir du plat du pied de Kaka (pet à son âme, quand il mourra).

Le plat du pied n'est pas une notion anatomique, c'est une notion footballistique que quiconque n'a jamais tapé dans un ballon — je veux dire lors d'une partie de foot — ne peut pas comprendre, comme celui qui n'a jamais tenu une raquette de tennis ne peut pas comprendre la poésie qui se dégage du passing shot de coup droit de Yannick Noah en bout de course, le long de la ligne, dont l'effet — un lift particulier, latéral — fait d'abord sortir la balle hors des limites du court avant de la ramener juste à temps, c'est-à-dire avant son rebond sur le sol, dans les limites légales, laissant l'assaillant adverse pantois. (Beaucoup d'italiques ? Oui, mais j'explique, merde.)

Le meilleur endroit de Paname pour aller voir un match de foot est le Mazet, dont la serveuse est un bijou absolu. Le type qui considère qu'une frappe du plat du pied de Kaka est une frappe de mule, c'est son mec, c'est dire s'il a tort, et si j'ai raison.

Quant au match de l'équipe de France, vous pouvez vous brosser pour que j'en parle, sachez simplement qu'en tant que soixante-millionnième sélectionneur (pas simplement social-traître, donc) je préconise, afin de moucher les Sud-Coréens, le départ de Patrick Vieira en vacances, la titularisation de Dhorasoo comme milieu offensif droit, l'entrée du jeune balafré Ribéry pas avant la soixantième minute, comme joker, et la présence de Trézéguet, notre bien aimé renard des surfaces, dans une attaque à deux pointes, c'est-à-dire, tas d'anti-français, le retour au
4-4-2 en losange prôné lors des matchs de préparation. Parce que ce n'est pas en continuant comme ça qu'on vengera, en demi-finale, les glorieux aînés de Séville4.

Bien le bonsoir.

Demain, je parlerai de cunnilingus, parce que tout ça a assez duré.

Mise à jour du 3 juillet : une fois n'est pas coutume, je me vois obligé d'ajouter à ce texte une insulte assassine à mon endroit, suite aux deux démonstrations successives de l'équipe de France, et notamment de Vieira. J'avais à peu près tort sur toute la ligne, comme presque tout le monde. Ce qui devrait m'inciter à cesser dare-dare de parler de football sur ce site (me voilà bien attrapé).


1 Footix, en référence à la mascotte officielle de la Coupe du monde française de 1998. Quoi de plus idiot qu'une mascotte, au fait ?
2 Date de la finale victorieuse contre les Brésiliens, après laquelle Thierry Roland eut ce mot émouvant : « Eh ben, après ça, on peut mourir ! » (Il avait déjà vu Venise, lui.)
3 Pourquoi la Corse ? Pourquoi pas ?
4 8 juillet 1982, Séville. En demi-finale du Mundial espagnol, la RFA bat la France aux tirs aux buts contre le cours du jeu (avec au passage l'agression non sanctionnée de Patrick Battiston, brillant stoppeur français, par l'ogre teutonique et moustachu Harald Schumacher), prolongeant le bail de l'esprit revanchard anti-germanique de quelques siècles.
Merci, Chat fou. J'ai opté pour l'ajout d'un mot, donc. Révisionniste, hein ?

Nikita Calvus-Mons le 14/06/06 à 00 h 27 dans Sportif-traître
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Commentaires

Il est américain lui ?

Jarvis Cocker est américain ?
Ben ça.
Ca fait deux révélations en un coup.
Un type aussi pop jusqu'au bout des cols pelle-à-tarte n'est pas anglais.
Il y a des américains célèbres qui ne sortent ni d'un freak-show ni d'un sitcom.

Bon. Va falloir que je vive avec ça maintenant.

Chat Fou - 14.06.06 à 01:59 - # - Répondre -

Re: Il est américain lui ?

Non, non, non, ne change rien, surtout !

Ma phrase est effectivement ambiguë. Je voulais dire "le genre Jarvis Cocker, ou le genre chanteur neurasthénique américain". Je pensais plus au type de Pavement, en fait.

Qu'est-ce que je fais, je corrige ? C'est révisionniste, non ?

(Je suis à deux doigts de rendre hommage à un de tes paragraphes anti-foot, très touchant. En fait c'est un corollaire indispensable à cette montée de testostérone beauf qui m'assaille, moi et tous les autres, à chaque grand tournoi international...)

60millions - 14.06.06 à 03:04 - # - Répondre -

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