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60 millions de social-traîtres

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

*Tendre Rebelle, si tu me lis, sache que j'ai toujours regretté de n'avoir pas cédé à tes avances

À la fin de l'hégémonie française sur le monde télématique, à l'époque où France Télécom tentait un baroud d'honneur en lançant un Minitel à 9600 bauds — mais toujours doté d'un clavier de cauchemar —, nous étions quelques précurseurs à nous engueuler comme du poisson pourri sur ce qui ne s'appelait point encore forum ni newsgroup, mais qui répondait aux mêmes standards : discussions incompréhensibles pour qui ne faisait pas partie de l'histoire du lieu, taux de névroses élevé, taux de psychoses non négligeable, orthographe correcte en option. Ce « serveur » (sur Minitel, tout service en ligne était un serveur, par abus de langage) s'appelait, judicieusement, Bistro ; depuis, son fondateur, un Corse à la trouble réputation, a fait fortune sur Internet en prenant le train de l'hébergement de pages personnelles, ce qui témoigne d'un talent particulier dont je n'ai pas grand chose à foutre.

Bistro, cette cour des miracles électronique, possédait une âme, pas très propre. Des gens cyniques y jouaient au mépris et à la haine avec de déjà blasés gauchistes. Des fous juifs qui ne jouaient pas, eux, comptaient les points en archivant tous les messages (qui s'appelaient des Délires, ça ne s'invente pas) pendant que d'autres cinglés, antisémites de talent, qui ne jouaient pas non plus, tenaient à jour des fiches car il fallait suivre de très près les différents pseudonymes, parfois une dizaine, utilisés par une même personne pour faire joujou. Ça valait bien un bon gros fil de newsgroup truffé de professionnels du point Godwin, de paranoïaques et de mongoliens, et en sus vous aviez, oui, l'âme d'un lieu absolument pas recommandable (et on se gardait donc bien de se vanter de notre habitude de tordu auprès de nos amis de la vraie vie, car on avait honte).

Aujourd'hui, plus personne n'a honte de faire comme Anadema, ni de faire le troll dans une discussion sur fr.bio.medecine ou alt.binaries.fetish.segolene. Le monde entier est sur le Net, les névroses ordinaires ont enterré sous leur nombre les jolies psychoses d'antan.

Ce n'est pas que ça manque, mais je viens de retrouver un pote de cette époque maudite par l'intermédiaire de ce blog. Il définit très bien ce qu'on ressentait, alors, avec nos histoires de filles pas très nettes, nos galères de boulot et nos nuits passées devant un écran à dialoguer avec des femmes de trente-cinq ans fraîchement divorcées et encore attirantes : une époque « jouissive et morbide », tout à la fois, où les discussions électroniques avaient parfois la gueule de l'art, et où les jeunes paumés de vingt balais avaient toutes leurs chances avec un tas de jeunes femmes totalement larguées.

Nikita Calvus-Mons le 23/05/06 à 18 h 43 dans
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Commentaires

L'étron et le néon

 

Leslie Gonvola-Denize - 23.05.06 à 21:28 - # - Répondre -

Nouvelle observation sur le sujet

Attention au penchant tout de même un rien Jean Daniel de ce genre de prose. C'est certes dans la cible du lieu, mais ç'agace aussi, je trouve. Tu n'es pas aux cabinets non plus. (Jean Daniel ! Pardon. Mais tu sais ce que c'est. Comme une sorte de point Godwin de la mièvrerie. Un emblème, quoi.)

Pas qu'il y ait quoi que ce soit de particulier à reprocher à cette bonne vieille nostalgie de toujours, qui sait nous attendre au moindre tournant et nous jouer la rengaine poisseuse mais si charnelle du noir et blanc à gros grain, sinon, peut-être, son aversion pour l'universalité ou, contenons-nous un peu tout de même, son manque d'égard envers autrui. Sa petite note onanisante.

Pas non plus que l'égard soit un dû — qui irait réclamer quoi que ce soit ? —, mais, bon, à force, on l'attend, l'égard, on s'y fait, au petit égard, et, du coup, ça dérange de ne le voir pas autour de soi.

Il y a comme un côté Melville ici, je sens, ou plutôt un côté Melville tel que le rappelait — bien après — Delon, dans une confidence que j'avais trouvé (é je pense, pas ée) touchante lorsqu'il évoquait sa période faste des années 60 en regrettant de ne connaître plus personne désormais. Oui, un petit côté Le Samouraï indéniable dans cette obsession du plan fixe (l'imparfait), de l'absence de dialogue (discours tout au plus rapporté) et de la rupture soudaine (le gros mot). Le tout bien sûr dans un sens de l'honneur (l'orthographe, les capitales là où il faut) que les moins de vingt ans ne peuvent, etc. Donc, inutile de saloper d'effusions capitalistiques. Ça ferait musée d'art moderne. Jean Daniel, quoi.

Mais peut-être que je m'égare ici.
Sans doute la référence au trouble Corse qui m'a mis dedans.
À creuser. Et que ça saute !

Lee Beria Jr - 24.05.06 à 00:34 - # - Répondre -