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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Akoibon

Ah, Francis... Mon bon Francis. Tu te demandes bien pourquoi je t'ai fait venir jusqu'ici, sur ces pages en bichromie, toi que je n'ai, au fond, jamais vraiment aimé. Tu comprendras, tout à l'heure, l'instant d'une boutade, d'un mauvais calembour... En attendant, laisse-moi te parler du regard de Marie Denarnaud dans Akoibon et de son beau mensonge candide : « J'aurais pu faire rêver des gens. »

J'avais adoré La Bostella, le premier film d'Édouard Baer, qui n'a pas dépassé les cinquante mille entrées en salles, tas de connards ! Connards occupés, comme moi, à aller voir des nanars comme Marie-Antoinette par pur snobisme (ou contre-snobisme, ce qui est la même chose, en doutiez-vous seulement ?).

Il se dégage une atmosphère bostellienne de son second film, à Édouard : Akoibon, qu'on m'avait vivement déconseillé — mais j'ai la recette, pour tous ceux qui passent à côté de tels films : au mieux, allez les voir dans leur milieu naturel, au cinéma ; au pire, seul, dans le noir, en ayant choisi le jour et l'heure. Si vous êtes plus d'un, ne parlez surtout pas — pas un mot — ne vous levez pas pour aller pisser ou choper une bibine — le faites-vous au cinoche ? non ! alors abstenez-vous pendant l'heure et demie que dure ce film-ci, comme d'allumer une cigarette ou de prendre votre maman au téléphone. Édouard Baer est l'un des derniers poètes cinématographiques, et il mérite mieux que le comportement de l'humanoïde de base devant un DVD de Steven Seagal.

Akoibon fait moyennement rire, beaucoup moins que La Bostella en tout cas, ou les films dans lesquels Baer et Poelvoorde font les zozos pour financer leurs sottises. C'est sans doute pour ça qu'on hésite au début entre la déception devant ce qui serait un intéressant ratage, pour parler comme cet imbécile de Serge Kaganski (si si, je suis sûr que tu as un jour écrit ça, Serge, ne nie pas), et la curiosité, quand même, devant la lente naissance d'un univers onirique et loufoque. Un miracle s'opère à un moment, rupture de narration d'abord — rien de génial, mais déterminant — je ne vous raconte pas, ça s'appellerait, dans le jargon des nerds qui pourrissent les forums de discussion sur le cinéma : un spoiler. Et je ne veux pas spoiler Akoibon. Mais passons. L'autre miracle, le seul, au fond, s'appelle Marie Denarnaud.

Enfin, bref, voilà une belle fable sur la création et le narcissisme, comme l'était déjà un peu La Bostella ; je n'ai pas envie d'en dévoiler plus pour ne pas ruiner la découverte ou laisser de faux espoirs à ceux qui seront de toute façon déçus — parce que le rythme du film ne leur convient pas, syncope perpétuelle, jamais résolue, dans un tempo lent, très lent, même.

Le fantôme lascif de Gainsbarre hante le film (L'Aquoiboniste, apparemment, a donné son titre au film, à moins que...). Marie Denarnaud est fascinante — le film s'en transforme souvent en version contemporaine de Pierrot le fou, ou alors je dis n'importe quoi et c'est probable vu que je suis aussi compétent en cinéma que l'est en musique le type qui m'apostropha hier en m'expliquant doctement, l'idiot, que le rock en ternaire ça n'existe pas — je suis toujours fasciné par les gens qui affirment alors qu'ils doivent quand même bien sentir qu'ils n'ont pas les bases.

Bon, mais brisons là. Je n'ai rien d'intéressant à dire sur Marie Denarnaud et Akoibon, à part que je l'ai aimé comme aucun film cette année, mais c'est peut-être aussi parce que je n'ai pas encore regardé L'Attaque des sangsues géantes. (Oui, il y a une boutique qui vend des disques et des vidéos rue Mazarine, elle est ouverte très tard et on y trouve quelques trucs pas dégueulasses dans les cinq euros, du coup je me, comment dit-on, déjà ? lâche, parfois.) 

« J'aurais pu faire rêver des gens. »

« Tu m'as fait rêver, déjà, moi... », réponds-je, Francis, hors champ, en nous resservant un glass d'amaretto-raisin.

Je te laisse, à présent, Francis, j'ai grande envie de spoiler.

Nikita Calvus-Mons le 01/08/06 à 21 h 53 dans Cinématographique-traître
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