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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

De l'artiche en milieu faussement anti-conformiste

À l'heure où l'addition arrivait, je dégainais toujours le premier ma carte bleue, discrètement ou pas, cela variait en fonction de mon degré d'alcoolémie, et probablement du nombre de jolies filles que j'avais envie de courtiser. Jamais personne, pendant ces dix-huit mois, ne me devança.

Le fric avait plu sur mon compte, en trois versements venus tout droit des États-Unis d'Amérique, les Corrupteurs absolus. Je ne méritais pas ce pognon. Je bossais vaguement, de dix heures du matin dans les bons jours à huit heures du soir en moyenne, pour une start-up. En vérité, je naviguais aux instruments. Le taf n'avait aucun sens, j'étais amoureux au sein même de la boîte, la thune me tombait dessus comme la vérole sur le bas-clergé.

Chaque soir, on se murgeait doucement.

Je raquais pour tout le monde. Ils étaient tous pleins aux as, de la même manière ou presque — notre boîte valait plus cher, en bourse, que le constructeur d'avions Boeing, et on s'en glorifiait tous, piteux ex-révolutionnaires convertis bien rapidement à l'ironie potache du marché — mais c'était moi le plus généreux. C'était ainsi ; une sorte d'atavisme dont je ne pourrais jamais m'échapper et que personne ne commentait jamais. J'avais à mes crochets mes meilleurs amis, qui avaient appris, eux, à gérer de l'argent, à gribouiller les talons de leurs chéquiers, à ne pas jeter les relevés de compte à la poubelle avant de les ouvrir. Ils ne la ramenaient guère. Je payais leurs bouteilles de vin à trente euros, à peine buvables — nous écumions le cafardeux Oberkampf, où le picrate est une règle — ; ils n'allaient pas se coucher, j'achetais ainsi, sans m'en rendre vraiment compte, leur compagnie. Leur excuse favorite, la fatigue, ne tenait jamais la route face à la promesse d'un dernier verre offert par le royal-au-bar de service. Pendant ce temps-là, leur oseille à eux faisait des petits, achetait des appartements bourgeois, se plaçait intelligemment ; jamais ne me paya un coup au comptoir.

Ils demeurèrent pourtant mes amis. Je ne pouvais pas leur en vouloir. Ils étaient responsables. Je doutais qu'ils vécussent vraiment. Mais je m'en foutais. J'étais à l'époque amoureux et plein aux as : je profitais de la vie. Je pouvais bien arroser les copains.

Aujourd'hui, je suis ruiné, ou presque. Je ne comprends toujours pas vraiment comment j'ai pu dépenser autant d'argent — deux millions et demi de francs — en aussi peu de temps — dix-huit mois. Mais je ne regrette rien, au contraire. J'ai fortement vécu.

Nikita Calvus-Mons le 19/04/05 à 01 h 13 dans Social-traître
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Commentaires

Longtemps que j'étais pas passé chez toi . Mais seulement deux textes que je n'avais pas vu. Si le texte ci-dessus , qui va de boire en dé-boire , n'est pas de la fiction : il ne te reste plus qu'à te refaire.. Et je suis sûr que tu y arriveras .

Et ta musique, on écoute quand ?

Abrazos

dB

dibrazza - 25.04.05 à 19:38 - # - Répondre -

on en revient toujours à l'arithmétique

Deux millions et demi de francs, soit, au taux fixe convenu et en arrondissant, trois cent quatre-ving-un mille cent vingt-trois euros. 

Tout de suite, ça fait un peu parvenu suisse, comme somme (molle). On la ramène moins qu'avec deux millions et demi, n'est-ce pas ? (Je pense aux filles à la peau moite, mate pardon.)

En dix-huit mois.
Tu veux dire en dix-huit réincarnations de ton moi ?

Poursuivons.
Je divise et ça nous ramène donc quelque chose comme vingt-et-un mille cent septante-trois euros par moi(s). En gros, un petit millier d'euros par jour ouvré. En gros toujours, un bon SMIC net mensuel par jour (ouvré). Le prolétariat appréciera. Son avant-garde éclairée également. Le bureau politique de cette avant-garde itou.

Mais au vu des chiffres, ta complainte rentre donc clairement dans le champ d'application de ce blog. Rien à redire.

(Pour la  bonne bouche :
- Le retour du fils prodigue, des Straub.
- Idem, dans une version plus rococo, mais néanmoins culturellement enrichissante.
Et on s'appelle, bien sûr.)

Lee Beria Jr - 11.05.05 à 23:30 - # - Répondre -

Re: on en revient toujours à l'arithmétique

Oh non, pas les Straub...

60millions - 15.05.05 à 22:46 - # - Répondre -

Re: Re: on en revient toujours à l'arithmétique

bah, pourquoi pas ?
s'trop bien, les Straub... surtout  à quand on les voit à Berry Field
(ouh la, que c'est mauvais)
bon, toujours confiant dans le genre humain, sinon ?

Lee Beria Jr - 16.06.05 à 10:14 - # - Répondre -

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