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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Dindes de la farce

« Les femmes pardonnent parfois à celui qui brusque l'occasion,
mais jamais à celui qui la manque. »
— Talleyrand (1754-1838)

Elle n'aime pas les blogs et me le dit. Moi non plus je ne les aime pas, je m'en veux un peu d'avoir succombé à cette facilité. Pas le journal intime, non, je défie quiconque de comprendre un centième de mon intimité au travers des mensonges publiés sur ce site, ce qui me dérange vraiment et me rend coupable, c'est cette facilité de mise en page, cette version clés en main du site web, intime ou pas, là n'est pas la question, le blog c'est un jouet pour handicapés de la technique, pour nullards de la mise en page, un truc de feignasse ultime ne demandant aux meilleurs que l'effort de corriger leurs fautes d'orthographe et hop ! bon à tirer, coco.

Je déteste les blogs et j'en tiens un parce que je n'ai pas le courage de faire mes dazibaos en papier et les distribuer dans les troquets parisiens. Virtuel versus réel, cette tarte à la crème de déjà vingt ans d'âge... N'en déplaise à tous les frustrés qui ne publient qu'en ligne, littérature, musique — quoi de moins concluant qu'un e-label ? — ou peinture en photo thumbnail avec bandeau de pub intégré, il n'y a rien de moins noble que la publication électronique.

Alors, pourquoi parler d'Anadema sur ce site-là ? Le premier élan de dégoût passé — ce type publie un blog exhaustif sur ses aventures de dragueur à très haut débit sur Meetic —, une certaine fascination prend corps. Je suis en présence de ce qui est l'essence même du blog telle qu'elle le déteste et qu'elle n'a pas eu besoin de me l'expliquer : l'intimité sans recul, sans point de vue autre qu'absolument égocentrique, avec les chevilles qui enflent à chaque nouveau commentaire élogieux.

Ce qui surprend c'est le caractère des commentaires : compatissants, souvent, surtout chez les filles, pourtant régulièrement traitées comme autant de codes-barres par Anadema, ce Sisyphe de l'amour (coucou Alex, je te pique deux mots en passant, bonjour au mignon Pétomane-du-Chaudron). Et on comprend vite : le site de bourrin qu'on nous promet n'a pas lieu ! Nous sommes en présence de l'œuvre d'un romantique indécrottable qui, ne supportant pas la vie réelle, a enfin trouvé une solution à son problème principal : le désert de sa vie sentimentale. Ainsi, celui qu'on imagine facilement ancien consultant en nouvelles technologies de l'information (ou toute autre perte de temps contemporaine) a changé brusquement d'activité, un jour de l'an de grâce deux mil trois : désormais, il est en « quête d'une fille formidable », assumant pleinement la niaiserie de l'intitulé de son nouveau graal.

Car ce n'est pas seulement tirer un coup en passant. Peu de véritables succès de ce côté-là, d'ailleurs : l'intérêt unique du site est l'analyse par l'auteur de ses échecs répétés. C'est son côté soap opera, comme l'a justement dit quelqu'un je ne sais plus où, dans un autre blog — ah, quel monde exaltant.

Anadema est un type tellement sincère1 et transparent qu'il ferait pâlir de jalousie tous les théoriciens cacochymes de la glasnost. Il publie donc ses expériences sentimentales. Sans fard, sans pudeur, sans intelligence, sans analyse — en fait, comme précisé plus haut, il s'y risque en permanence, mais c'est alors qu'on frise l'insupportable —, il jette en pâture à un public d'accros le résultat souvent déplorable de ses dragouilles virtuelles. Il semble vivre à plein temps pour se prendre des vents et ne pas les comprendre.

Il se donne ainsi régulièrement le beau rôle, celui de l'incompris. Le lecteur comprend très vite que sous la carapace du bourrin queutard que le thème et le ton du site lui avaient vendu réside en réalité un sentimental exalté et névrosé à l'extrême, à peine capable, à presque trente ans, de reconnaître une nymphomane tatouée, la confondant avec une fille « décomplexée » et « sachant ce qu'elle veut », alors même qu'il avoue, pendant la nuit, ressentir une « déprime violente ». Il ne lui viendrait pas à l'esprit une seconde que cette pauvre fille lui a communiqué le maximum de son angoisse à elle. Simplement parce qu'Anadema est trop angoissé pour s'intéresser aux angoisses des autres. Les filles. Qu'il traite régulièrement, dans d'improbables élans de « sincérité totale » — en fait, de vraies leçons de méchanceté moralisatrice —, comme des moins que rien.

En général, et c'est rassurant, on sent parfaitement qu'elles jouent la montre avec ce qu'elles considèrent sans le préciser — les braves femmes — comme un sac à névroses de plus, de plus en plus aigri et agressif au fil des posts. (Ses lecteurs, peu enclins au léchage de bottes, le lui notifient régulièrement, ce qui semble ne jamais — au grand jamais — l'interpeller. Magnifique monolithe mégalomane !)

Ce blog est fascinant. Son auteur, tête à claques même pas sous-houellebecquienne, est probablement méprisable ; mais son blog est réellement fascinant. Écrit sans une once de style, mais avec l'indéniable savoir-faire du technocrate moyen — c'est-à-dire avec une ou deux grosses fautes de français tous les quatre paragraphes, ce qui est un bon score, convenons-en —, il vaut une centaine d'études de terrain sociologiques sur les thèmes qu'il explore : l'indignité masculine, la quête effrénée de l'âme sœur, les diktats de la mode... J'en passe et des bien pires.

Ce n'est pas un hasard si Anadema a choisi un pseudo féminin. Il est purement féminin. Se pose en victime perpétuelle du désintérêt des femmes à son endroit, qu'il camoufle pourtant habilement en « hypocrisie », « manque d'honnêteté » et autres confortables œillères. S'offusque parfois de ce qu'on le traite comme un objet sexuel, quand, en apparence au moins, il joue autant à ça avec toutes ses proies. En réalité, et les exemples sont légion, il n'assume absolument rien. Les femmes qu'il croise sont bien plus capables que lui de vivre des histoires légères et ça le débecte, comme le débecte le simple fait qu'il puisse ne pas « plaire à autrui » — et le refoulement prend alors des allures de cas d'école. La plupart du temps, on le perçoit hésitant à passer aux actes, et au bout d'un moment plus ou moins long, la biche trace sa route, lassée, le laissant vexé et penaud. Anadema, quand il a une touche, et à force de tout raconter sur son blog, rate souvent le coche, ce qu'aucune femme ne lui pardonne réellement. Les « analyses » truffées d'aveuglement narcissique qu'il en livre ensuite systématiquement nous rassurent sur le fait que nous aurons, en 2008 comme en 2012, toujours notre bonne dose de soap hallucinogène et non coupé à la raison.

Il faut avoir lu les extraits de chat de l'auteur avec ses pauvres cibles, presque toutes plus sympathiques les unes que les autres, pour mesurer, outre son immense impudeur, confinant à l'obscénité, son absolue cuistrerie : ainsi la page où il demande à son interlocutrice ce qu'elle pense de l' « aphorisme » (sic) « La vieillesse est un naufrage », et la démonstration édifiante qui suit que quiconque ne le comprend pas est une imbécile. Dans ces lignes-là Anadema montre le plus idiot visage qui soit, celui du post-ado péremptoire incapable d'imaginer qu'il existe une autre manière d'envisager le monde que la sienne. La jeunesse est un naufrage. Oui, mais Anadema déclare vingt-neuf ans ! Est-ce si jeune qu'on puisse lui accorder le bénéfice du doute ? Lui ne doute pas. Jamais. Ces extraits de chat, tous, en sont la meilleure preuve, et plus encore les annotations qu'il y pose après coup : déjà lourde, sa conversation tyrannique prend alors les atours détestables de la farce psychorigide.


1 La sincérité a tout de même ses limites que la névrose ne saurait outrepasser. Quand une jeune femme lui demande « Tu enregistres toutes nos conversations ? », un peu effrayée sans doute, il lui répond : « Non, c'est juste l'historique de MSN », omettant de préciser pour ses lecteurs, qu'il prend à témoin, que cet historique n'est absolument pas automatiquement mis en action, comme il le fait croire à sa dinde...

Nikita Calvus-Mons le 11/04/06 à 05 h 00 dans Social-traître
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Commentaires

une petite perle de l'intello bourrin

ça écrit, certes, "ça" écrit... et dès les premiers phonèmes balbutiés, on conchie... Le anadema's story ne tombe pas dans les oreilles de sourds, titre ô combien egotiste qui nous rappelle les meilleures heures d'un Delon tendance général Lebed, 'je' momifié dans un 'Il' propice aux pires images d'Epinal.... La phrase stéréotype suit immédiatement : 16 mois passés à compter les filles entassées (7), puissaâmment vaincues à coup de dards univoques ; on imagine le pied.
Le Social Traitre Dépasse les Bornes, parfois... Un Pathologique Radical, peut-être ??
Belle hargne, 60 millions

kalinka poncife - 12.04.06 à 00:57 - # - Répondre -

Re: une petite perle de l'intello bourrin

Y'a plus con que lui, y'a qui en parle

grokonar - 12.04.06 à 23:54 - # - Répondre -

Re: Re: une petite perle de l'intello bourrin

y a plus con que le plus con, y a celui qui lit celui qui en parle... On tourne en boucle ? Merci groconnard, grâce à toi je redécouvrir les joies du mirroir incassable de mes tendres années.

kalinka poncife - 13.04.06 à 16:08 - # - Répondre -

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