60 millions de social-traîtres II
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
Il ne faut pas souhaiter la mort des gens
La guitare de Woody Guthrie portait l'inscription This machine kills fascists. Très belle inscription, déclaration de guerre permanente. Mais, si je la trouvais belle et forte, je n'y croyais pas vraiment : une rafale de Kalash et la guitare exploserait, aucun doute. On ne rigole pas avec la faucheuse. On peut filer, tout au plus, quelques métaphores.
Aujourd'hui que j'écris de manière moins dilettante qu'avant, je suis régulièrement frappé par la puissance des mots — non pas les miens, encore maniés avec la maladresse du jeune homme à peine déniaisé — non, les mots, je parle de tous les mots, même des plus ordinaires ou mal agencés. La puissance de l'écrit, fût-il bancal. Les intentions qu'on suppose derrière les phrases de n'importe qui font des dégâts sérieux. Celles qu'on suppose derrière les miennes aussi. Souvent, toujours ! malgré moi. C'est à jurer qu'il me faudrait en permanence m'excuser de faire un blog de bourrin, carburant à la pure mauvaise foi (revendiquée), farcie de raisonnements à l'emporte-pièce davantage motivés par une colère instinctive contre la bêtise ambiante que par le simple désir de raisonner pour le plaisir (je préfère me caresser le sexe, pour le plaisir, ou l'insérer de temps à autre dans deux ou trois muqueuses). Bref, il me faudrait, pour dormir tranquille, mettre sur ce blog un disclaimer quelconque : « Attention, ne pas prendre tout ceci trop au sérieux — ne jamais rien prendre au sérieux. »
Parce que des gens prennent mes mots pour eux, s'imaginent élus muse d'un jour, et considèrent que je désire réellement leur mort parce qu'ils ont un disque de Carla Bruni dans leur discothèque. Que je peux désirer la mort de quelqu'un. Réellement. J'insiste : ré-elle-ment. Et on est venu m'insulter (« enfoiré », je serais), me reprocher de souhaiter (donc) réellement la mort des gens. Comme si j'avais fait une allusion consciente et dévastatrice à la grave maladie d'un ancien pote. Comme si j'étais à ce point pourri. Pourtant, je sais bien que je ne le suis pas, pourri autant que ça ; je sais bien que j'ai été content quand il a guéri, malgré nos différends. Je ne souhaite pas la mort des gens. Quand j'écris « tu es déjà mort », je parle à mon voisin autant qu'à moi-même, évoquant nos inévitables décès cérébraux, c'est-à-dire nos renoncements, nos lâchetés, nos abandons, nos idéaux dans le caniveau. Fallait-il le souligner aussi lourdement ? Pouvait-on vraiment se méprendre ? Prendre ce « tu es déjà mort » pour un vœu pervers ?
La guitare proclamait This machine kills fascists mais, même si ce n'était pas pour rire, messieurs, mesdames, ce n'était pas réel non plus...
Nikita Calvus-Mons le 15/01/08 à 03 h 51 dans Social-traître
Article précédent - Commenter - Article suivant -
Commentaires
Fantômes & farfafouilles
Ca me fait penser à une nouvelle de Fredric Brown, intitulée "Ricochet", dans laquelle un type se retrouve frappé d'un sort (ou quelque chose comme cela) qui a pour effet de faire se réaliser tous ses souhaits aussitôt qu'il les a formulés. Sa vie devient un enfer, évidemment. Si tu (et vous, les gens qui passez) ne connais pas, ça vaut le coup de lire, Brown est très très fort.
Catherine - 15.01.08 à 10:13 - # - Répondre -
Et hop un petit détour du coté de social traitres (pas mis de tiret et de chapeau, rien que pour te titiller) !
Tiens un extrait de Palombella rossa de Moretti. http://youtube.com/watch?v=snao1M-ENUk "Les mots sont importants"
Ton post m'y a renvoyé. Et c'est cadeau !
Bonne journée mon grand (c'est familier je sais, cela doit être parce qu'il y a de l'attachement)
Estelle - 15.01.08 à 10:24 - # - Répondre -
Paranoïas internétiques
Ce sont les risques du "métier", car en effet, internet a un pouvoir et les mots aussi, mais tant mieux. Un monde où les mots n'auraient plus ce pouvoir serait, pour le coup, un vaste cimetière.
gc - 15.01.08 à 11:16 - # - Répondre -
C'est un souci louable de ta part, mais peut-etre un peu exagéré. D'ailleurs, comme tu le fais toi-même remarquer : une kalash tue, une guitare, non, les mots ... Pas tant que ça ... Assez peu en fait.
Sans compter que l'emploi du mot mort dans ton article précédent pouvait s'interpreter de mille et mille façons (personnellement, j'avais compris que le bobo amateur de la Bruni mourrait de lui-même, de vieillesse prématurée).
memapa - 15.01.08 à 14:38 - # - Répondre -
← Re:
C'est le sens que j'y avais mis initialement, of course. Mais en élargissant un peu, on se retrouve vite concerné par ce genre de mort lente.
Bon, souci louable, mais exagéré ? Crois-moi, j'étais un peu ébranlé. (Un peu, mais quand même.) Tu n'as pas reçu le mail que j'ai reçu ! :-)
(et hop, un smiley, j'en avais envie)
Bon, je n'emploierai plus jamais le mot "mort" dans un texte. J'en connais un qui va être sacrément emmerdé aux alentours du 15 février...
60millions - 15.01.08 à 15:01 - # - Répondre -
tout cela prouve que les possesseurs de disque de Carla Bruni n'ont pas d'humour. Alors que Carla elle, qui peut etre larguera le président et le laissera ravagé et en larmes pour l'éternité d'ici quelques semaines, se doit d'être cosmiquement drôle.
GGG - 15.01.08 à 15:00 - # - Répondre -
← Re:
Je parcourais distraitement un vieux Rock & Folk (celui d'il y a pile un an, en fait) hier au bar car je m'y faisais un brin chier, et entre une interview des Deftones et je ne sais plus qui, il y avait une pub pour l'album de Carla Bruni (dans Rock & Folk, oui). Je pense l'afficher en bonne place aux toilettes.
Je crois même qu'il s'appelait "No Surprises", comme une chanson de Radiohead. Mais ça j'en suis plus sûr.
60millions - 15.01.08 à 15:04 - # - Répondre -