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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Les Josettes Noires, place d'Aligre, avant « L'An 01 »

Me voilà sur l'épicentre du monde bobo, attendant Godot in the form of Sibyl V., qui viendra, ouf, pas tout à fait Godot donc, mais ratera les Josettes Noires – pas comme Mokobé, le chef du 113, qui sourira sur son scooter à l'écart de la fanfare, pendant la plus grande partie de leur set. Il faut parler du groove des Josettes Noires : une très jolie fille, brune et bronzée, en robe rouge, tout à fait le genre de la maison, frappe à intervalles presque réguliers la grosse caisse qu'elle tient entre ses jambes. Comme elle est émotive, elle fait un « pain » à chaque fois qu'on la déroute ; elle se déconcentre facilement. Ici, c'est un danseur ivre ; là, un enfant de deux ans qui gigote sur la place d'Aligre. Le pain, parfois, laisse place au doute : et la note prend la forme d'une double croche funk. La plupart du temps néanmoins l'erreur est manifeste. Mais comme la fille est très jolie, on lui pardonne. Mieux que ça : on se réjouit, car à chaque approximation la voilà qui sourit de ses trois dizaines de dents blanches, pas dupe ; oui, avec les Josettes Noires, la musique n'est qu'une fête, que prétexte à la fête. De groove stricto sensu, point : Moe Tucker, à côté, ferait figure de Sheila E. Mais comparer Moe Tucker, la batteuse historique du Velvet, à la bassdrummer halée des Josettes Noires en collants roses, c'est faire fausse route, mathématiquement. Si d'un point de vue rythmique Tucker, autre adepte de la mailloche, l'emporte en effet easily, le rapport des sex-appeals, en revanche, tend dans l'autre sens vers l'infini. Qu'on me comprenne bien : je n'ai jamais été aussi ému par une musicienne, point. Quand elle ne joue pas, la Demoiselle de la Grosse Caisse regarde ses copines plancher et fume avec une grâce infinie, sur le côté de la scène. Debout, nonchalante. Superbe. Extrêmement jazz, tout ça. La plus belle propagande pour la cigarette qui soit. Qu'on me comprenne bien, bis : ce n'est pas parce que j'ai joué une ou deux fois (deux), remplaçant leur batteuse enceinte, avec les Josettes que j'en dis autant de bien. Tout simplement à la beauté, n'en déplaise à Monierza – et ceci, d'accord, n'engage que moi et mes névroses –, un culte doit être rendu que je rends ici en souvenir des temps anciens où la baseline de ce blog était, souvenez-vous : « Club-house des amis du collectivisme, du post-punk et des filles à la peau mate. » Il est saisissant de constater que seules au monde les Josettes Noires illustrent avec tant de persévérance ces trois fondamentaux : elles jouent collectif, elles ont à leur répertoire des morceaux datant d'après 1977, et certaines d'entre elles ont la peau mate, la fille à la grosse caisse n'étant pas la dernière.

Nous vîmes ensuite, murgés progressivement (fonction linéaire du temps : une Pelforth brune par demi-heure) et en guise de soirée inaugurale du festival Cinémaligre, le merveilleux An 01 de Gébé et Doillon, valant au bas mot dix millions de poussifs manifestes pour la décroissance. La drôle de question inutile, sans réponse, donc idiote, se pose alors : comment ai-je pu, connaissant la réputation de ce chef-d'œuvre depuis ma première dent de sagesse, m'en tenir éloigné aussi longtemps ?

L'inévitable séance télé du lendemain, c'est-à-dire ce soir

Praise the Lord, I saw the light. And the light came in the form of Julien Courbet, avec ses histoires édifiantes d'escroqueries gigantesques. Me revient en mémoire, devant l'affligeant conte de ces malheurs prévisibles – se faire gruger de 200 000 euros par un Zaïrois d'opérette, n'est-ce pas simplement le comble de la bêtise ? – le chapitre ouvrant La Reine des pommes de Chester Himes. Courbet, ce fils de pute en Renoma, sous-gendre idéal de la ménagère de moins de cinquante ans, cette grosse ratée, fait son beurre de la crédulité des cons, ce qui n'est pas nouveau. Mais il le fait avec les accents d'une geste donquichottesque de carnaval qui fascine quelque peu. La question, oui, encore, la question affleure : dans les rares moments où il se débarrasse du cynisme ordinaire, croit-il parfois sincèrement faire le bien ?

Sometimes I swear I can still hear her howl...

« In the form of » : j'ai employé cette locution et pensé en même temps au beau morceau de Nick Cave, noir comme la stricte absence, qui me l'avait apprise, soufflée, si j'ose dire. « Once there came a storm in the form of a girl/It blew to pieces my snug little world. » La chanson figure sur Let Love In, elle s'appelle, si je me souviens bien, It Ain't Gonna Rain Anymore. La pluie figurant pour Cave une tristesse nécessaire à la vie. Un mouvement, au moins, fût-il dévastateur. Tout mieux que l'absence, le vide, le néant. L'inaction. La solitude.

Génial Nick Cave. Géniales Josettes Noires. Génial Gébé. Et caetera.

Nikita Calvus-Mons le 15/09/07 à 01 h 45 dans Musical-traître
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Commentaires

Fanfare

Soit, la beauté, dans un contexte fanfaresque, peut être objet de culte, je le conçois. Je suis moi-même tombée, adminirative, sous le charme ravageur du chanteur/trompettiste des 8 hot brass band.

monierza - 15.09.07 à 10:45 - # - Répondre -

Re: Fanfare

Euh..., ce que j'ai oublié de dire, c'est qu'il joue et chante divinement bien. C'est sans doute moins "poétique" mais ça me fait de l'effet. 

monierza - 15.09.07 à 11:15 - # - Répondre -

Re: Fanfare

Tu fais bien de préciser. En effet mes motivations sont plus troubles !

60millions - 16.09.07 à 14:29 - # - Répondre -

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