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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

The Craftmen Club + Rotor Jambreks, hier à la Mécanique ondulatoire (Paris)

Si le cinéma nous déçoit tant, que dire de la musique pop ? Enrobée de la classique sellerie garage punk, cette dernière peut s'avérer aussi lénifiante qu'un film s'honorant de la présence divine de Virginie Ledoyen. Le rock s'impose alors « au bruit », comme en boxe on gagne aux poings, et non aux points. (L'analogie avec la boxe est foireuse, veuillez m'excuser, je ne m'en étais pas rendu compte avant d'avoir à choisir — au pifomètre — entre poings et points. Tout cela n'a aucun sens. C'est navrant.) Le rock du Craftmen Club s'impose devant un public largement acquis à sa cause, car le groupe est « signé », a déjà des fans. C'est bien « mis en place » (entendez par là que les structures sont précises et percutantes, bref qu'on a ici affaire à des « punks professionnels »). Le chanteur arrive à se rendre antipathique à force d'hystérie dès le premier morceau. Après le troisième, qui ressemble au deuxième et au cinquième, ainsi qu'au quatrième, pause : « Je voulais juste dire qu'on joue le 14 mai au Nouveau Casino, et... » Les fans hurlent ; comme souvent dans contexte similaire, l'interprétation du sens de ces grognements est impossible. J'ai envie de réagir devant tant d'outrecuidance, mais mon côté ovin m'enjoint de garder le silence, de demeurer sagement dans le troupeau ; si je réagis, je risque peut-être de me voir vertement tancer par les amis du groupe, tout autour de moi. Je n'ai peut-être pas assez bu pour que ma seconde personnalité, celle qui est capable de danser nu dans les mariages, de montrer son sexe flacide à un objectif de photographe ou de tremper ledit phallus mou dans son verre de punch planteur pour le touiller devant une assistance éberluée, prenne le dessus. Mais quand même, le chanteur se moque de nous. Quel petit connard. Faire la promotion d'un prochain concert dans une salle plus importante quand on en a à peine commencé un, dans une cave humide, et après une première partie si excellente (j'y reviendrai), c'est vraiment se foutre de la gueule du monde. Alors quand même, après à peine une pinte, j'articule quelques mots pénétrants, en gueulant comme une brebis aux hormones : « Finis d'abord celui-là ! » Contre toute attente, les fans hagards autour de moi gueulent ensuite une sorte de « OUAIIIS ! » que j'interprète cette fois comme un acquiescement. Il y a de la tomate pourrie et de la canette de Kro vide dans l'air... Enfin, du punk !

Mais non. Tout rentre dans l'ordre. Le groupe joue son tube du moment. Pas mal, d'ailleurs. Enfin un riff sortant un peu du lot, de la masse sonore (pas très critique, comme masse). Ce groupe revendique à grands cris l'influence du Gun Club, et je mets ma main à couper que c'est surtout, comme la plupart des gens de leur âge, en passant par Noir Désir que ces Bretons ont découvert le groupe de Jeffrey Lee Pierce. Il n'y a pas de mal. C'est la logique même. Moi-même... Mais le problème réside dans le chant, encore une fois, pompé tic pour tic sur celui de Cantat, un peu comme avec Dionysos d'ailleurs, dont le Craftmen Club pourrait assurer la première partie sans qu'aucun des deux groupes n'en rougisse... Ceci n'est un compliment pour aucun des deux groupes, bien sûr. Bref : quel emmerdement maximal. Quel pitoyable enchaînement de « poses rock ». Autre influence revendiquée : Sloy. C'est de bon goût, toutes ces influences, on sent les gens appliqués à ne pas dévier en interview (chiants comme la pluie, donc). Sloy... Sans doute pour la formule en trio ? À part ça...

À part ça ? Il y avait la première partie, qui va faire de cet article quelque chose de long. J'aurais dû, par égards pour lui, écrire mes louanges de Rotor Jambreks avant de descendre les stars du soir. Mais je suis comme ça : une sorte de crevure. J'aime Rotor, néanmoins, et je vais expliquer pourquoi.

Cet homme joue du rock 'n' roll américain, il est américain, cela s'entend, bien qu'il soit également breton, si j'en crois les indices collectés sur le web. En tout cas, hier, il était américain. Élégamment vêtu d'un costume sombre et de Wayfarer rouges, il est assis en toutes circonstances, car il cumule les fonctions de chanteur, guitariste et batteur. Pied droit, grosse caisse, pied gauche, caisse claire (avec une baguette montée à la place de la batte). L'homme, entre deux morceaux de rock classique (pensez Memphis, Sun Records, tout ça), sur la fin diablement speedés au garage (type Jon Spencer), parle au « people ! » devant lui, s'amuse, boit une pinte, se rend éminemment sympathique, sans forcer. Sorte de Black Francis maigre (si une telle chose est imaginable), il évoque aussi, par la formule employée, le bluesman norvégien Bjørn Berge, qui joue également assis avec un pad de grosse caisse sous le pied, mais ne s'embête pas, lui, avec la caisse claire. Berge a raison : il n'en a pas besoin, tout son art provient, outre de sa voix sépulcrale, de ce qu'il est guitariste virtuose. Pas au sens Satriani, tas d'imbéciles — que viendrait faire Satriani dans ces pages ? —, mais au sens où de ses guitares électro-acoustiques, dont une douze cordes, il a la maîtrise totale, dans la finesse comme dans la dynamique. Jamais en forçant. Berge n'est pas un punk. Quand nous le vîmes à Albi, il y a quatre ans, lors du Summer Festival (un échec total), il nous souffla tous. Nous jouions juste après lui notre électro-pop mélancolique et un peu facile, et tous nous fûmes impressionnés par ce Norvégien aux allures de déménageur, ou de roadie de Metallica. On pouvait légitimement redouter une musique immonde, rien qu'au T-shirt noir moulant ses biscotos tatoués, mais son concert fut prodigieux. Il parvint même à rendre plus qu'écoutable (et jusqu'à notre bassiste, ayatollah « bruitiste » de la plus belle eau) un morceau des ignobles Red Hot Chili Peppers. Excusez du peu !

Mais je digresse. Donc la caisse claire, à la musique de Berge, ne manque pas. Et puis de toute façon il n'y a aucun rapport entre Bjørn Berge et Rotor Jambreks, à part l'aspect strictement formel : chanteur-guitariste assis, jouant de la batterie avec les pieds. Mais mieux que Richard Kolinka, qui joue comme ses pieds.

Rotor Jambreks joue donc sa propre version de la blues explosion, avec des frappes précises de batteur californien (si quelqu'un peut m'expliquer ce que je tente de dire ici ? Ah si, je pensais, je ne sais pas pourquoi, aux Supersuckers). Essayez de frapper une caisse claire du pied gauche, avec une pédale de grosse caisse, vous m'en direz des nouvelles ! Sortir un son et surtout une précision acceptables doit demander autant de temps qu'expulser une sonorité pas trop immonde d'un violon. Rotor assure, tranquille. Ses pieds sont deux métronomes, et il s'offre même le luxe de quelques doubles croches au pied gauche. C'est technique ? Parce que je suis batteur. C'est ma déformation. Mais Rotor joue simple. Sa musique n'est pas compliquée, vous vous en doutez. Ce qu'il fait avec sa guitare mériterait néanmoins le qualificatif « supersonique » si je n'avais pas peur de prendre un manche de guitare en travers de la tronche pour avoir employé un aussi bidon cliché. Il n'empêche, encore une fois c'est d'une précision absolue. Voilà : Rotor Jambreks est précis. Son concert, sur le plan de la dynamique, s'emballe linéairement, pour se finir sur un concours de tambourins entre deux filles prises devant lui dans le public. Devant lui, j'ai dit. Bœuf étonnant !

Du coup, j'ai acheté le disque, par pur soutien, alors que je sais très bien que je ne vais pas forcément aimer la musique qui y est « capturée ». On ne capture pas un fauve (autre cliché énorme, hein ?). Rotor Jambreks est un showman, à voir sur scène. Il joue, lui aussi, au Nouveau Casino, mais le 7 avril, si mes informations sont exactes. Vous n'aurez donc pas à subir le Craftmen Club, ce qui est capital pour passer une bonne soirée, sans redescente trop violente.

Donc : le rock n'est pas mort. Ce qui est le troisième cliché de cet article bien trop long. Si vous en voyez d'autres, n'hésitez surtout pas. Je suis là pour ça.

Nikita Calvus-Mons le 11/03/09 à 18 h 32 dans Musical-traître
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