60 millions de social-traîtres
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
Vieux con, prêt à voter utile
Dans le salon confortable de la maison du Périgord il se tient, debout, contemplant du haut de ses humains deux mètres, à 10 % près, l'étendue de ses renoncements qui sont probablement ceux de ce que la presse magazine appelle sa génération.
Les larmes remontent à la surface ; il les refoule — bien qu'il soit seul ici — avec comme seule arme sa capacité au détachement : un sourire désabusé et une pression sur la touche d'arrêt du lecteur de CD. La chanson est de toute façon finie, du moins ce qu'il pouvait en attendre, à savoir un irrépressible crescendo de nostalgie révolutionnaire, en espagnol bien sûr ; la voix rauque d'une belle brune usinée par l'une ou l'autre de ces factories télévisuelles, se foutant pas mal la belle brune des paroles ; mais voix jolie, au timbre horriblement triste, noyée sous les chœurs de ce que l'homme aux environ deux mètres appellerait une entière génération, courbatue, sans politique, sans ces idéaux qu'il a foulés aux pieds pendant une décennie avec plus ou moins la conscience de ses actes. Voilà ce qu'il reste de ses rêves d'action, des mendiants pas même clochards, agenouillés dans le centre de Paris et dont les J'ai faim inscrits sans suspension ni exclamation aux dos d'avis de saisie lui donnent régulièrement, s'il décide d'y réfléchir une seule seconde, de vrais haut-le-cœur, comme sans doute à toutes les vieilles connes catholiques.
Cette chanson populaire, produite selon les recettes de la pire variété, la plus efficace, mélange à ces restes d'idéologies perdues (oui, qu'a-t-il fait de ses vingt ans, au fait ?) des souvenirs plus anciens encore d'insouciance, du temps où enfant il n'écoutait pas encore de musique, mais en entendait beaucoup, surtout dans les fêtes foraines. Cette chanson aurait fait un malheur chez les gosses, du temps de ses dix ans, et il l'aurait chantée en tournoyant dans une nacelle multicolore et se gavant de fraises tagada. Aujourd'hui il se demande simplement s'il faut mettre une majuscule à tagada, ou pas ; sa haine des majuscules injustifiées lui fait lexicaliser à peu près tout ce qui passe, et c'est également la raison pour laquelle il n'a pas persévéré dans l'étude de l'allemand. Voilà tout l'horizon politique de cet homme grand de deux mètres, aux larmes de midinette refoulées raisonnablement pour ne pas s'effondrer en écoutant une version pop de Hasta siempre qui lui rappelle autant l'âge tendre de son petit frère que sa propre jeunesse, dont il ne regrette rien, par principe, sauf à cet instant justement le principe de ses vingt ans.
Nikita Calvus-Mons le 16/10/06 à 16 h 41 dans Social-traître
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