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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Dérive (1)

Tout commença par un repas rue Xaintrailles, À la douceur angevine, cantine provinciale à un jet de pavé de la place Jeanne-d'Arc où je dînai d'andouille fumée, de rôti de bœuf et de pommes grenailles. Nous fîmes un sort enviable à une bouteille de chinon — mais j'avais préféré le verre de sancerre rouge éclusé à l'apéritif alors que j'attendais mon géniteur. L'agape se termina par un moelleux à l'ananas, manière de tarte tatin caramélisée, au beurre salé.

J'appelai Sibyl en sortant, mais elle ne répondit pas, sans doute elle aussi en train de finir un dîner. Pour l'attendre, je dirigeai mon vélo crapaud vers le Marais. L'attente s'éternisa : à une heure du matin, je n'avais aucune nouvelle, ce qui me surprenait quelque peu. L'idée du lapin m'effleura à peine, simple possibilité théorique. Non, il y avait autre chose, fatalement. J'espérais pourtant que ce ne fût pas fatal. J'étais un peu inquiet, mais l'inquiétude, à partir de deux heures, surnageait dans la dose d'alcool adéquate à me rassurer.

P. était dans le bar du Marais, avec une fille magnifique, d'une timidité saisissante. Il écrivait devant nous les paroles d'une chanson qui n'était en fait qu'une déclaration d'amour. Elle souriait, très flattée, joyeuse et silencieuse comme une enfant sage (elle l'était d'ailleurs, étymologiquement). Nous chantions fort des mots de pure provocation :

La rumeur d'Orléans
Ce n'était peut-être pas qu'une rumeur

Puis B. nous rejoignit avec une fille au sex-appeal tordu. Chevauchant nos vélos — nous dûmes batailler contre trois stations Vélib, motorisées par Microsoft Windows, avant d'en trouver un de qualité acceptable pour P., qu'il garderait jusqu'au matin — nous grimpâmes la raide Geneviève, la montagne, et posâmes nos culs sur les banquettes un peu trop fermes du Crocodile. Là, je descendis des cocktails aux noms amusants : charles henry, puis grasshopper et enfin hurluberlu — descente en douceur laiteuse et amandée, évocation de Sibyl, c'était avec elle que j'avais bu mon (premier et) dernier hurluberlu. Que devenait-elle, Sibyl, à cette heure tardive ? Avait-elle décidé, après réflexion, de me fuir ? Avait-elle simplement perdu son téléphone ? Oui, sans doute, c'était un problème de téléphone : toute autre hypothèse était d'une improbabilité telle qu'elle m'aurait certainement ôté deux ou trois certitudes. Quand même : Sibyl me manquait. Nous parlions avec la fille au sex-appeal tordu (clone étrange de Françoise Sagan mâtiné de Gwyneth Paltrow) de psychanalyse et de masturbation, ce qui revient à peu près au même. Il fut alors temps d'accepter l'inévitable : on allait nous éjaculer dans la rue, et ce fut fait, avec la manière. Avant cela, j'avais observé — trépignant d'impatience, prêt à lui coller une mandale — un type à l'impressionnante vessie qui bloquait les toilettes, y pissant, comme il se doit, mais à jet continu et interminable. Il urina ainsi pendant deux ou trois minutes, entières. Performance rare. Je ne le voyais qu'à travers la vitre dépolie de la porte du goguenot. Il me semblait stupéfait, rendu stupide, par sa queue qui n'arrêtait plus son œuvre vidangeresse. Quand il ouvrit enfin la porte je sortis mon Laguiole et traçai sur le pisseur un joli sourire kabyle.

à suivre

Nikita Calvus-Mons le 05/10/07 à 19 h 34 dans Littéraire-traître
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