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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

El Dorado

Je suis dans l'avion, un Boeing 747-400 de la compagnie néerlandaise, KLM. Leurs avions sont laids : bleu clair et blanc. Je profite d'un siège couloir à côté d'une des issues de secours, avec donc toute la place disponible pour mes jambes. En face de moi, l'hôtesse, sur son strapontin spécial take-off and landing, s'étouffe presque de peur au décollage. Un 747 s'arrache certes lourdement mais je trouve cette phobie, chez une hôtesse de l'air, assez peu professionnelle. Après tout, elle pourrait être communicative la phobie et se propager dans nos esprits, à moi et au connard de hipster en tongs Quiksilver qui occupe le siège côté hublot et tente désespérément le coup de la connivence masculine avec moi. Le genre « I love KLM » avec clin d'œil égrillard associé. Sauf que l'hôtesse est belle, certes, mais je n'éprouve aucune envie de la niquer dans les chiottes de cet avion vieillissant où la bouffe est immangeable à un point qui dépasse l'entendement. Je suis seul et romantiquement déprimé : A., dont je ne suis séparé que depuis quelques heures, me manque déjà.

C'est la première fois que je prends un avion long courrier tout seul.

Je reviens de Californie où nous avons passé neuf jours incroyables, bonheur pur suspendu comme le Bay Bridge au-dessus de l'inextricable fouillis d'emmerdes rythmant notre vie quotidienne depuis de nombreuses semaines. Je reviens vers Paris et un contrôle fiscal ; je quitte San Francisco par l'aéroport et par temps frais.

Je rapporte des autocollants « Death Valley » et « Big Sur — Pura Vida ». De la mythique librairie City Lights, à l'angle de Columbus et Broadway, des inédits de Bukowski et Oblivion de Foster Wallace. Nous avons bu deux gin-tonic, la veille, au Sweetie's, petit bar d'habitués de North Beach dont nous avions rencontré la barmaid dans un mariage le week-end précédent. C'est sur Francisco Street, à côté de l'angle avec Mason. Pas loin du San Remo Hotel que tous les guides recommandent à juste titre.

À Bakersfield nous avons bouffé d'énormes côtes de porc BBQ en écoutant du country-blues à tue-tête pendant que des petits vieux dansaient quelque chose comme un square dance ou je ne sais quelle danse folklorique de l'Ouest, dans le Crystal Palace ultra kitsch de Buck Owens, apparemment une star de la country, dont quelques clichés, en compagnie de Johnny Cash ou Schwarzenegger, ornent les pages du menu. Les musiciens jouaient très bien et il n'y avait pas un nègre dans la salle. Et le motel était deux fois moins cher que partout ailleurs précédemment : Santa Cruz (85 « + tax »), Los Angeles deux fois (95), Furnace Creek (85). Bakersfield ? 55. Presque deux fois moins cher. Symboliquement, disons. En arrondissant. Ne vous demandez pas pourquoi je suis un aussi mauvais gérant de petit commerce : j'aime l'arrondi — sous toutes ses formes.

Furnace Creek : l'endroit le plus chaud de la planète, ou pas loin (en fait, il s'agit du bassin de Badwater, à quelques miles). Une chaleur sèche et donc soutenable. 118 degrés Fahrenheit quand nous reprenons le cabriolet, que nous ne découvrons pas encore, pour entamer la remontée vers San Francisco. Je connais par cœur la formule de correspondance entre les deux échelles de température. Enlever 32, multiplier par 5 et diviser par 9, dans cet ordre. En gros, plus de 47 degrés Celsius. Afficher les températures extérieures en Kelvin, sur les tableaux de bord des voitures, ce serait plus drôle : 320,15 K ! En tout cas, quelle que soit l'échelle choisie, il faisait chaud. Des robinets d'eau « froide » (pure convention de plomberie, ici) coulait une eau plus chaude que le mélange déjà quasi brûlant avec lequel je me douche habituellement. Aucune échappatoire. Au resto du resort, plein de glaçons. Je n'ose imaginer la conséquence d'une panne, même temporaire, de machine à glaçons. Où est le dépanneur le plus proche ? C'est le désert, ici, à au moins 150 miles de la ville la moins ridicule qui soit. J'imagine que les dépanneurs viennent de Vegas, ou de LA, en hélicoptère. Je ne vois pas d'autre solution. Des glaçons. Il en faudrait dans la piscine, très agréable par ses dimensions mais trop chaude, bien sûr. Aux alentours de 35 degrés Celsius. Conversion à l'envers : multiplier par 9, diviser par 5, ajouter 32, dans cet ordre. Environ 95 degrés Fahrenheit. « Presque de quoi faire bouillir la piscine », me glisse A. qui a oublié ses cours de lycée. Bien sûr qu'elle n'a pas dit ça : fiction.

Rentré à Paris, la première impression est désagréable : un taxi incompétent et des embouteillages monstres, vu que l'autoroute A3 est remplie de Hollandais et d'Allemands, et saupoudrée de quelques Belges. Tous ces gens du Nord partent en vacances... J'avais oublié ce concept : les grands départs. Je mets le pied dedans en sortant de l'aéroport. Ensuite je me mets au lit et j'enchaîne la vision de There Will Be Blood et Zabriskie Point, nostalgique comme jamais à la vision de ces paysages désertiques et stupéfiants que nous venons à peine de traverser. J'ai adoré traverser la Californie avec A. Adoré la Californie, adoré A., adoré ces jours suspendus, adoré San Francisco.

A. me manque : elle n'est pas repartie avec moi, préférant continuer vers l'ouest, vers la Malaisie, pour un reportage. A. ne vole que vers l'ouest : cela facilite la récupération du décalage horaire. J'aurais dû y penser.

Nikita Calvus-Mons le 06/07/09 à 18 h 42 dans Littéraire-traître
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Commentaires

 C'est une perle, ton A. Il faut que tu nous la ramènes. On te trouvera toujours un plumard (pour deux) et d'autres adresses dans SF et dans la contrée de Black Bart où tu es venu nous voir. Ou si tu dois fuir le fisc.

Arnaud H - 06.07.09 à 23:10 - # - Répondre -

Re:

Hahaha !

Merci camarade, mariage très marrant, et la semaine qui a suivi était vraiment géniale. You live in a fantastic place...

60millions - 07.07.09 à 00:35 - # - Répondre -

je vous interdit de partir vivre là bas (pas sans chambre d'ami en tout cas). Oblivion du foster Wallace ! Je le connais pas ! L'est mort le pauvre homme, l'année dernière. Oui la Californie est une merveille. Ca donne envie tiens.

GGG - 07.07.09 à 20:01 - # - Répondre -

El Dorado...

"Les musiciens jouaient très bien et il n'y avait pas un nègre dans la salle."
Pauvre con...

PasRaciste - 05.09.09 à 16:24 - # - Répondre -

Re: El Dorado...

Je serais bien amusé (ou consterné ?) de découvrir ce qui peut te choquer là-dedans. Tu es tombé dessus en tapant "nègre" dans Google et tu as fait abstraction du contexte, c'est ça ?
Tu connais la musique country américaine ?

60millions - 05.09.09 à 17:46 - # - Répondre -

Re: El Dorado...

je pense être le plus consterné des deux, voyez-vous...
Non, j'ai tapé Bakersfield, car oui je connais bien la musique country américaine et je recherchais quelques adresses d'endroits sympa sur Bakersfield pour en écouter...
"Pas un noir" ne m'aurait pas choqué (encore que..).
Le terme "nègre" a un petit côté péjoratif en français, non ?...
Certes, la country est une musique de "blancs", mais il me semble que des gens comme Neal McCoy ou Charley Pride prouvent qu'elle ne leur est pas réservée...

PasRaciste - 05.09.09 à 19:43 - # - Répondre -

Re: El Dorado...

Ok, nigga.
Je ne te ferai pas l'affront de t'apprendre à lire "entre les lignes", ou à décrypter les différents degrés de lecture d'un texte, ni ce que le terme "ironie" désigne. C'est ce qu'on apprend au lycée, dans mon souvenir.
Je ne t'apprendrai rien non plus en t'indiquant que les Noirs sont rarissimes dans les publics des concerts de "musique de blancs".
Va en paix, crétin des Alpes.

60millions - 06.09.09 à 19:44 - # - Répondre -

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