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60 millions de social-traîtres

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Introduction à une sémiologie de la moustache

Pour atteindre au statut de grand journaliste musical, il faudrait faire un voyage en Jamaïque, rencontrer Bob Marley en tirant des bords pendant une semaine dans des volutes de marie-jeanne épaisses comme purée, poser comme principe le refus de toute obligation promotionnelle, même si l'on se retrouve à Kingston par la grâce du label (cracher dans la soupe est une éthique, pas un proverbe débile), rendre compte uniquement de son propre sentiment, avec des phrases souvent fulgurantes, sur l'homme, le musicien, le « mystique » démystifié par la ganja mist ; il faudrait pour cela au moins avoir un propre sentiment, c'est-à-dire une analyse intelligente, personnelle, débarrassée des préjugés, et pour cela bien entendu il faudrait ne jamais avoir étudié le journalisme, ou alors le moins sérieusement du monde, comme un passe-temps en attendant la révélation, en gardant conscience que l'école est un moule, en n'acceptant aucun compromis.

Après un tel voyage et des dizaines de reportages du même acabit, on pourrait prétendre à un quelconque statut.

Problème épineux : où est Bob Marley aujourd'hui ? Le spectacle a tout mangé. Où sont les prophètes, même de malheur ? Où est la sortie du cirque ?

On aimerait qu'un Lester Bangs (qui est, est-il besoin de le préciser, celui qui a fait tout ce que j'ai écrit là-haut) nous l'indique, parfois, car nous manquent les sensations amoureuses qu'occasionnent les grandes découvertes. Plus on a écouté tous les disques, plus on s'ennuie, à la recherche — passive, au bout du compte — de l'étincelle.

Ou encore on écrit des biographies de musiciens n'ayant jamais existé : ersatz minuscule. J'ai ainsi trouvé un nom amusant pour une future uchronique : In the Meantime He Had Grown a Moustache. Incapable encore de dire à quel genre rattacher ce faux groupe. Parle-t-on de la moustache de Staline, de celle d'Hitler, de celle des flics qui encadraient Ranucci lors de son arrestation ? Oui, tous les flics, dans les années 70, portaient de viriles bacchantes. La moustache était encore un attribut de droite. Aujourd'hui les bourgeois post-modernes s'en essayent une de temps en temps, qui n'a plus aucun sens, à part celui que colporte la dérision, le second degré, le foutu second degré dans lequel tout baigne jusqu'aux yeux et aux oreilles depuis Canal+. La mort de l'esprit. Et celle de la moustache fasciste.

Nikita Calvus-Mons le 08/03/09 à 17 h 22 dans Social-traître
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Commentaires

Le foutu second degré se soigne les fesses...

Ah, qui ne se lamenterait :

« La chair est triste, hélas ! et j'ai ouï tous les disques... »

Mais il faut rectifier la conclusion : Mussolini avait très tôt rasé sa moustache — en signe d'affection pour l'iconographie romaine, j'imagine.

(Moustache est l'un de ces mots à l'histoire délicieusement compliquée. TLFi donne ce savoureux :

« Le mot a dû être empr. par le fr. à l'occasion de la campagne de Charles VIII en Italie du Sud. »

en guise de piste molle, histoire de t'envoyer à Naples voir si notre emprunt est toujours inscrit à notre débit.)

Lee Beria Jr - 09.03.09 à 22:24 - # - Répondre -

Re: Le foutu second degré se soigne les fesses...

Oui c'est vrai, il y a vraiment deux usages du mot "fasciste", j'ai délibérément usé de la forme "abusée" parce que j'aime bien de temps en temps.

Traiter les flics de fascistes semble parfois un simple rappel à l'ordre (haha).

Charles VIII aurait rasé les Napolitains de force ? Je ne comprends pas.

60millions - 10.03.09 à 16:57 - # - Répondre -

Re: Le foutu second degré se soigne les fesses...

Charles VIII aurait rasé les Napolitains de force ?
Va savoir...
Je ne sais pas très bien ce que Charles VIII — dit l'Affable — était venu foutre (au second degré) à Naples — peut-être s'agissait-il tout simplement d'un premier degré. Je lis en effet, au pif :
« Charles VIII, souhaite réaliser le projet de son père, Louis XI, qui était de réclamer les droits sur le royaume de Naples tenus de sa mère, Marie d'Anjou. Ainsi Charles VIII s'élance dans l'aventure, épris des épopées chevaleresques, préméditant une action contre les Turcs. [...] Il prend ensuite possession de Naples le 22 février 1495 où il vit dans une ambiance festive, fort de ses succès. »
Donc on festoie, on s'égaie, on veut apprendre l'italien ou l'italienne, on s'en approche, on lui glisse un mot ou deux, on lui titille la lèvre inférieure et, ce faisant, le regard remonte d'un cran et tombe sur un mustaccio qui émerveille (on est fort saoul). Par un coupable remords ou une coupable nostalgie, on décide le lendemain d'adopter la chose et le mot et de ramener le tout à la maison. (L'ami Charles VIII est en effet chassé de Naples trois mois après y être entré.)
(Ah, et pour le fascisme ordinaire, il te reste celles de Plekzsy-Gladz. Tant qu'à étudier les signes, autant s'amuser.)

Lee Beria Jr - 10.03.09 à 23:14 - # - Répondre -

Re: Le foutu second degré se soigne les fesses...

Cette scène d'une véracité historique sans doute inattaquable est troublante.

En ce qui concerne les moustaches de plexiglas, la honte et l'opprobre soient sur moi ! Un oubli malencontreux, comme dirait l'autre.

60millions - 11.03.09 à 18:43 - # - Répondre -

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