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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Je n'ai rien contre la sociologie mais contre les mauvais sociologues, beaucoup

La junte militaire au pouvoir en Birmanie ferme l'accès à Internet pour continuer à massacrer dans le noir. La Birmanie... Le Myanmar... Le sang.

Je suis un imbécile qui n'a pas fait d'études. La preuve, j'aurais peut-être dû écrire « qui n'ai pas fait d'études », mais l'erreur, s'il y a erreur, m'est venue spontanément. Le doute sur cette question n'est-il pas une preuve supplémentaire de mon incapacité à prendre à bras le corps les grands problèmes de ce monde ? J'en cite deux, que nous allons décortiquer un peu avec notre mauvaise foi d'imbécile. (Oui, en plus, je me donne du nous. Il y en a bien qui se donnent du mou.) Deux grandes causes : la liberté (en Birmanie, par exemple) et l'égalité hommes-femmes (en France, par exemple). Il serait facile de m'objecter que prendre comme terrain d'expérience la France pour discuter de l'égalité entre hommes et femmes est une erreur de méthodologie. L'Égypte, par exemple, c'était déjà mieux. Ah bon ? Pourquoi ? Selon certains, bien plus national-éduqués que moi, la France est un terrain de jeu suffisant. Prenons donc la France.

Je connais une jeune ethnologue courageuse qui n'a pas hésité à quitter son XIIe arrondissement parisien, son compagnon et leur petite fille alors âgée d'un an pour partir vivre six mois, au contact d'une ethnie persécutée, dans la fameuse « jungle birmane » chère à cet imbécile de Nicola Sirkis. C'est un village où on arrive en pirogue, où la vie, selon les standards occidentaux, est rude, bien plus rude en tout cas que dans l'Est parisien. (Je ne dis pas ça pour les bidonvilles du pont de Bondy. Mais je n'en pense pas moins. De toute façon, il n'y a jamais un sociologue honnête sous le pont de Bondy.) Cette fille représente tout ce que j'admire dans les sciences humaines : la curiosité, la nécessité de comprendre, de témoigner, sans jamais d'aveuglement idéologique. Quand je parlais avec elle de ce qu'on appelait alors la situation au Myanmar, je n'ai jamais perçu la moindre once de haine mal placée, d'indignation convenue. Elle boycottait Total : c'était une évidence. Elle était allée sur le terrain, avait étudié, savait, c'était aussi sa vie à elle qui était en jeu. Moi, j'ai boycotté Total pendant deux semaines comme tout le monde et je suis passé à autre chose. (Drôle d'arme, le boycott. C'est donquichottesque à souhait mais c'est aussi, à part l'assassinat de patrons, type Action directe, la seule voie pour punir les profiteurs devant lesquels on se trouve si démunis.) Elle ne s'indignait pas à tort et à travers : elle travaillait. Elle a travaillé. Et pour achever son travail elle a payé de sa personne. La petite blonde aux yeux clairs dans un village de la jungle, infiniment forte, qui témoignait.

Pourquoi parler de cette ethnologue ? De l'ethnologie et de la sociologie, je ne connais que quelques ethnologues et sociologues. La « socio », quand je suis sorti du lycée, avait une sale image : parce que tout le monde s'y rendait sans même savoir de quoi il retournait. Les motivations n'existaient apparemment pas, au-delà d'un emploi du temps tranquille, permettant de fumer un tas de joints en critiquant la société de consommation avec ses semblables (aucun risque pour ladite société), et de la certitude de rencontrer des filles pas trop mal. Mais il y avait d'autres cursus de ce genre : psycho, bien sûr, en était un, qui fait ses preuves tous les jours. Si l'on y réfléchit un peu, voilà les deux mamelles de la société dans laquelle nous nous débattons : de la sociologie pour donner un vernis de sérieux aux professionnels du marketing et de la presse (comment « cibler » sans un sociologue bien planqué dans quelque back office ?), et de la psychologie pour tour à tour réconforter et condamner (image de la mère et du père, pour simplifier comme un psychologue). Une arme d'attaque, et une arme de défense.

Il est amusant de constater quand l'on discute, par exemple de l'égalité hommes-femmes, avec un sociologue que, pour lui, le politiquement correct ne se situe pas dans la condamnation des discours déviants, mais bien dans leur énonciation. Ainsi, une artiste-entertaineuse (et non une entraîneuse) comme Koxie a écrit un morceau (minable musicalement) stigmatisant à juste titre les agressions permanentes des racailles de la téci sur les filles, selon le schéma connu, d'Alain Soral à Élie Sémoun : « Bonsoir mademoiselle, vous êtes bien jolie », puis, après le vent inévitable : « Je te baise salope ! » Mais Koxie ne se revendique pas comme féministe. Pire : elle se dit, dans une interview d'un haut niveau culturel, « anti-féministe ». Levée de boucliers du sociologue ! Qui hurle, donc, au « politiquement correct ». Et là, mon sang ne fait qu'un tour : qu'est-ce qui est plus conforme à la doxa, plus accepté-imposé, en d'autres termes plus politiquement correct, c'est-à-dire non choquant, que de proclamer que les femmes et les hommes doivent être égaux ?

Ce superbe retournement de sens est une arme de plus à la ceinture du flic de la pensée, qui me rappelle ledit Xavier Renou éructant sa litanie de poncifs face à un Camille de Toledo presque désarmé par tant de haine et de stupidité convaincue.

Convaincue par quoi, en l'occurrence ? Par le dogme, rabâché depuis le début de sa formation intellectuelle en terre socio-psychologique, démocrate et libérale, que l'homme et la femme sont égaux, et que n'importe quel discours allant à l'encontre du dogme doit être stigmatisé comme déviant, « déviationniste » disaient ces bons vieux staliniens... Peu importe que plus personne ne précise clairement « égaux en droits » : ce qui est une évidence pour tout humaniste, dont je suis, doit demeurer caché, car cela permet une confusion d'ordre idéologique assez brillante, j'en conviens : et naît l'idée, saugrenue, mais dogmatique, d'égalité. Pourquoi saugrenue ?

Parce que s'il ne mange pas de pain (ma grammaire fout le camp) de se dire pour l'égalité, ce concept, plus creux que le cerveau de Cauet et de Cécile de Ménibus, pour ne pas évoquer celui d'Isabelle Alonso ou Laurent Ruquier, devient carrément une arme de destruction massive quand on se positionne, tout autant stupidement, contre. En effet : le mot ne voulant rien dire, si l'on ne précise pas de quelle égalité on parle, on dit une connerie, dans un sens comme dans l'autre. S'il est évident pour tout le monde, quand Koxie se déclare contre l'égalité des hommes et des femmes, qu'elle ne fait que constater que des données statistiques, numériques, hormonales, observables et observées depuis l'âge des cavernes, font bien une inégalité de fait des hommes et des femmes (inégalité logique, au sens mathématique : la moyenne des femmes n'est pas égale à la moyenne des hommes, tout comme une femme n'est pas égale à un homme, un homme n'est pas égal à une femme, je ne suis pas égal à mon voisin, qui n'est pas égal à moi, etc.), ça le devient beaucoup moins, évident, pour l'idéologue qui ne veut, ne peut y entendre, ô malheurs de l'aveuglement, qu'une sorte de proto-fascisme ravalant Adolf Hitler, l'eugénisme, la junte birmane et les Khmers rouges au rang d'aimables contestataires.

On peut s'interroger sur les motivations à l'œuvre dans une telle débauche de mauvaise foi, par ailleurs permanente chez certains individus, et touchant absolument tous les sujets. L'amour de la polémique stérile en est une. Le besoin de se sentir important, combattant, alors qu'on vit en état de paix civile dans l'une des sociétés où l'égalité de droits, la seule qui importe, est la plus avancée au monde, en est une autre. Ce sont à peu de choses près les mêmes motivations, d'ailleurs : dans une démocratie en fin de cycle, pourrissant un peu plus à chaque élection confisquée par les marketeux (c'est-à-dire, encore une fois, de mauvais sociologues et psychologues), la situation de paix civile devient presque insupportable pour les gens qui réfléchissent, car elle leur confisque leurs sujets d'engueulades alors que de vraies luttes, vitales, fondamentales, s'engagent dans des pays où le sociologue, contrairement à l'ethnologue, ne mettra jamais les pieds, sauf, peut-être, pour les vacances, après.

La sociologie n'est-elle pas, pourtant, comme le disait Bourdieu, un « sport de combat » ? Ne devrait-elle pas l'être ? Laissée aux mains de ces étudiants sans passion dont je parlais plus haut, elle ne semble fabriquer que des idéologues de salon, pour lesquels le « terrain » est rarement lieu plus fascinant qu'une discothèque ou un terrain de sport. À notre époque sécuritaire, le sociologue moyen peut-il être davantage utile qu'un sous-ethnologue domestique ?

Nikita Calvus-Mons le 28/09/07 à 18 h 45 dans Social-traître
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Commentaires

Égaux en droits (mais de faire quoi ?)

C'est intéressant. J'ai regardé le Taddeï un peu vite, car c'était en effet un peu accablant. Je ne jette pas la pierre à l'animateur, mais je n'ai jamais vu qu'on pouvait parler à la télévision. Réfléchir, réfléchir à voix haute, éventuellement réfléchir collectivement. Et notamment se taire. Je ne crois pas qu'on se taise jamais à la télévision. Quelqu'un a sûrement dû déjà observer la chose et l'analyser ; peut-être la télévision ne (se) tait-elle pas parce qu'elle impose déjà le silence dans les foyers ? Parce qu'on ne l'entend déjà plus ? Parce qu'elle n'existe pas ? Je ne sais pas. Mais on s'égare, là.

Car la question est intéressante, oui. Égaux en droits. En droit d'être — de n'être pas — bête, intelligent, curieux, blasé, fat, riche, séducteur, mort, paresseux... (Tous ces attributs pouvant être employés au genre que l'on voudra.) Bien entendu, il faudrait commencer par dire des choses comme : en droit de travailler, de se marier, de divorcer, de voter, de s'habiller comme ci ou comme ça, d'avoir un logement et de quoi se nourrir quotidiennement, mais je ne crois pas que ce soit le réel enjeu. Car je n'arrive pas à percevoir d' est posée la question, la revendication. Je veux être égal(e) en droits... Je veux le droit d'être l'égal de tel ou tel qui est (ou peut) plus que moi (sauf erreur, c'est toujours dans le sens du plus).

Rien n'y fait, dans cette revendication, je ne vois rien d'évident. Je ne vois là qu'une aspiration à — un désir d'être un autre, un autre qui est plus que je ne me sais être. Une envie, en somme, pas nécessairement en mauvaise part, mais une envie, au sens d'un moteur : ce qui me meut, c'est de vouloir être cet autre que je crois être plus que moi (bête, intelligent, curieux, blasé, etc.). Dans cette revendication à toujours plus de droit(s), je ne vois qu'une volonté de me sortir d'une condition inférieure pour atteindre la condition de l'homme supérieur. Puis de sortir de celle-ci pour m'élever à un niveau encore supérieur. Ce mouvement, cette aspiration me semblent antinomiques avec l'idée d'égalité de ou pour tous : seuls les morts sont égaux, comme on l'a remarqué depuis qu'on vit. Ce serait dire qu'un chacun est interchangeable avec un autre (l'un égale l'autre), donc un système inerte : chacun est le même et il n'y a aucune raison ou déraison de vouloir être un autre (le monsieur est la madame qui est le monsieur qui veut porter un embryon qui sera celui de la voisine qui l'aura cloné de son grand-père pour le faire naître à son image et à sa ressemblance, bref, un jeu de miroirs au mécanisme aussi éculé que ceux en activité dans les entrailles d'une photocopieuse). Il n'y a là aucune raison de vouloir, du reste, ni de désirer.

Si tel est donc le lieu de la question, peut-on lui apporter une réponse satisfaisante ? S'il s'agit bien de désir, cette réponse ne peut être que négative. Et qu'importe que l'on parle d'un monsieur ou d'une madame, le désir, le désir d'être un autre — un autre, et non pas le même — reste unique, pour ne pas dire l'unique raison d'être, en quelque sorte la seule façon de perdurer.

Je veux l'égalité des droits, mais c'est le droit de désirer l'autre parce qu'il est autre, justement, parce que je le place plus haut que tout.

Désolé pour le salmigondis, mais il me semble que la question vaguement évoquée ici a été traitée un peu vite dans le post ci-dessus. Sauf le respect que je vous dois. Ça me titillait.

— LBJ

PS : « mot dont tu doutes du sens réel... » — « du sens réel duquel tu doutes », non ?


Lee Beria Jr - 03.10.07 à 00:21 - # - Répondre -

Re: Égaux en droits (mais de faire quoi ?)

Tu sais bien qu'ici, pour moi, n'est pas un lieu de réflexion. Tu fais ça beaucoup mieux. Alors oui, c'est vrai , je survole et je suis bien mal à l'aise dans ce domaine, mais j'ai l'honnêteté de le dire en préambule, et en l'occurrence je n'ai écrit ce texte que pour commencer à préparer ma défense.

Je sais bien, en effet, que l'ennemi pour moi est là, dans cette bande de terroristes de la pensée qui prétendent réduire les artistes au silence, de façon plus ou moins honnête ou consciente. Les pires étant d'ailleurs ceux qui pensent encore être du côté de l'art, alors que les carcans qu'ils ont dans la tête et dans le cul ne peuvent les ranger que, au mieux, chez les critiques et, au pire, chez les censeurs purs et durs.

Voilà, je prépare en ce moment ma défense, car je vais avoir à me défendre dans quelques semaines, ou quelques mois, j'en suis sûr. Donc ce n'était pas une réflexion sur l'égalité, simplement un moyen de montrer les dents avant l'assaut.

PS : cela n'enlève rien au fait que j'abonde dans ton sens qui est le bon. Ah bon.

60millions - 04.10.07 à 03:38 - # - Répondre -

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