60 millions de social-traîtres
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
Le directeur de tout
Pris dans les rets de la plus dure des drogues, la passion, j'errais dans les rues, tirant mes plans sur la comète, échafaudant les utopiques stratégies, voguant entre l'espoir et le désespoir en un mouvement d'oscillation à fréquence variable, déstabilisante. Être amoureux — dans l'adultère que je m'échinais à penser romanesque — à ce point m'empêchait, comme il est connu, de penser efficacement. Quand je n'en rêvais pas la nuit, j'en rêvais le jour, souvent hypnotisé, le regard sans point de fuite, le ressort focal explosé, aux moments de séparation, qui encadraient avec une constance finalement rassurante les temps inégalables de l'amour.
Drogue dure car, comme par exemple chez le priseur de cocaïne, bien que plus puissamment encore, l'esprit est capable de s'en retrouver obnubilé pendant des semaines d'abstinence, de manque entre deux intenses nuits d'amour ; une partie non négligeable du temps-machine squatté par la bête sublime — et le cerveau, non, n'est pas multitâche.
Par définition, rien n'est plus passionnant que la passion. Mais il y eut quand même une fois, une seule, où quelque chose arriva à me distraire complètement. Même si cela ne dura que quelques heures, c'était remarquable et je le remarquai. Il s'agissait des Idiots, de Lars Von Trier. Entré dans la salle l'esprit embrumé, dans une période plutôt maligne de l'affection, j'en ressortis léger, heureux et l'esprit entièrement consacré à ce que je n'ai jamais hésité depuis à appeler un chef-d'œuvre. Car arracher un junky à ses obsessions nécessite des moyens de persuasion massive.
Puis il y eut Dogville. Somptueux. Et j'ai vu ce soir, fuyant la seconde mi-temps d'un Sochaux-PSG de toute façon plié dès la quarantième minute, Le Direktør — douteuse traduction à la française de l'original The Boss of It All — qui est encore un de ces films proprement magiques, et très drôle, celui-ci, de ce génie qu'est Lars. Vu au Racine Odéon, le sympathique cinéma de la rue de l'École-de-Médecine, un des derniers Mohicans de la résistance au pop-corn.
Au fait, François Reynaert est un con.
(Ah oui... Ce texte, hein ? commençait finaud, tendre, inspiré, pas un gros mot, et puis paf ! j'insulte une tanche. Que voulez-vous : il se dit que ce blog est aigri. Disons que je joue le rôle, quoi... Tiens, deuxième couche : sur le film de Von Trier, vous pouvez aussi bien être d'accord avec la pauvre tâche qui a écrit ça. MAIS, JE VOUS EN SUPPLIE : allez voir le film d'abord. Sans connaître le scénario avant, c'est vraiment beaucoup plus drôle ; et ces gros blaireaux de journaleux, évidemment — on ne change pas une équipe qui perd — en racontent toujours trop pour faire les malins. Petites bites, chez Fluctuat !)
Nikita Calvus-Mons le 01/03/07 à 01 h 43 dans Cinématographique-traître
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Commentaires
Pas encore vu le dernier Lars. Mais Lars von Trier c'est le très haut niveau. Sympathie…
christian dubuis santini - 01.03.07 à 15:38 - # - Répondre -
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Oui, et comme d'habitude avec lui (pour Dogville j'y étais presque allé par hasard, grâce au jeu des horaires des salles), j'y allais en me forçant un peu, par pure paresse intellectuelle. À chaque fois que je sors, c'est le grand bonheur. Quand je me suis retourné sur la salle, il y avait un type accoudé au fauteuil devant lui qui avait les yeux rivés sur le générique, un sourire béat aux lèvres. Il était fasciné à n'en point douter.
J'ai découvert tout le truc d'Automavision après : à voir le film, je ne m'étais rendu compte que d'un climat expérimental sur l'image qui rappelait le Dogme (notamment sur l'éclairage, bien bousculé quand même). Rien de bien « méchant » évidemment.
Et comme toujours, il trouve une blonde un peu passée, aux yeux cernés, qui a le charme de cinquante Monica Bellucci. L'air de rien, comme ça. Je n'en vois jamais des femmes du genre, au Danemark. Je ne vois que les poupées Barbie. Il a du bol, Lars.
Fonce, camarade !
60millions - 01.03.07 à 16:11 - # - Répondre -
J'adore Lars von Trier que je découvris très tôt (à 17, avec Europa Europa), mais il me destabilise toujours. Dans Breaking the waves, je nageais dans le bonheur et hop qu'il te fout à la fin cet espèce de message catholisant avec le miracle, les cloches et tout le tintoin, à la fin, justement au moment où l'on est en extase. Salaud. Je ne savais pas quoi en penser en sortant.
Et bravo pour la description de l'état d'aliénation passionnel, c'est très parlant.
gc - 02.03.07 à 15:49 - # - Répondre -