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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Le piège de la justification

Du9 est un très beau webzine de bande dessinée. J'aimerais n'en dire que du bien tant le travail est respectable, mais il me semble que Sébastien Soleille, le rédacteur de l'article intitulé Milan Kundera et l'art de la bande, tombe dans le piège trop prévisible de la justification. J'ai envie, pour le provoquer, de répéter la bonne vieille provocation [oh, comme c'est élégant, ducon — tu t'es relu quand t'as bu ?] : « La BD est un art mineur. »  Phrase stupide, mais qui marche à tous les coups avec les obsédés d'un genre, d'un courant, d'un artiste. Et a fortiori avec les fous de bande dessinée, souvent peu lecteurs de romans (pour ne pas dire complètement incultes en littérature) et qui en conçoivent suffisamment de complexes pour tenter en permanence de se justifier, de justifier leur art chéri.

Que nous dit, donc, cet article ? Il récupère simplement la définition du roman qu'effectue Kundera dans son fameux essai, L'Art du roman. Et, erreur grossière, tente de l'appliquer à la bande dessinée, pour lui donner la légitimité de l'art véritable — alors que personne n'en demande autant. La bande dessinée est pratiquée par des artistes géniaux et des imposteurs, tout comme la musique est l'affaire de Schubert et d'Amel Bent. Il est symptomatique de cet art neuf (le numéro 9, d'ailleurs, selon la classification fantoche en vogue chez les plumitifs) de tenter par tous les moyens, rarement pertinents, de s'inventer un génie propre. L'article de Du9 (dont je viens de comprendre, après avoir utilisé moi-même le numéro 9, le titre, après toutes ces années !) explique sur quelques lignes que la bande dessinée sait très bien, elle aussi, s'emparer de thèmes défrichés par le roman — sait, en quelque sorte, comme le formule K., explorer « une portion jusqu'alors inconnue de l'existence ». En fait, c'est la grille d'analyse de Kundera, paraphrasée. Et l'article ne se risque jamais à réfléchir sur ce qui distingue la BD de son grand frère où-y-a-pas-d'images. Il l'avoue d'ailleurs :

Bien sûr il ne s'agit que d'une grille d'analyse parmi d'autres. Elle approfondit peu la spécificité visuelle de la bande dessinée.

Ce faisant, elle manque doublement son but (si la BD n'est pas visuelle, qu'est-elle ?) et l'enfoiré de mauvaise foi qui sommeille en chaque social-traître (prenons moi, par exemple) serait assez tenté d'en conclure que la bande dessinée est bel et bien un sous-art, puisqu'elle est régulièrement aussi mal défendue (on repense ici à l'insupportable JC Menu). On se demande à quoi aura alors servi cette tentative de justification, la énième, et sans doute pas la dernière, ni la moins fatigante. Oui, bédéphiles ! vous êtes fatigants avec vos postures d'adolescents éternels ayant à « prouver quelque chose » et vos singeries de ce qui se fait de pire dans la cinéphilie — l'art numéro 7, lui aussi objet de tant de pédantes ratiocinations.

(En réalité, et je devance ici les cris d'orfraie que ne manqueront pas de pousser les intellos les plus réactifs du strip : les grandes BD sont prodigieuses. Et Du9 un webzine assez séduisant. Malgré ce bien petit article...)

 

Nikita Calvus-Mons le 08/11/07 à 03 h 14 dans Artistique-traître
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Commentaires

D'autant qu'on préfère la définition de Nabokov (du style, exclusivement) à celle du très pénible Kundera, dont le dégoût du monde ressemble furieusement au dépit du vieux séducteur qui n'emballe plus des masses de nymphettes (mais encore des animateurs de fanzines, ouf). A raprocher de Sollers et Matzneff d'ailleurs.

Kundera partage d'ailleurs avec Sollers le procédé du trouver l'intrus. Sollers : Sade est un génie, Céline est un génie, je suis un génie, Joyce est un génie.

Kundera : Kafka est un génie, je suis un génie, Janacek est un génie.

Aboli Maurice Biraud - 08.11.07 à 21:46 - # - Répondre -

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