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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Le vote, il ne passera pas par moi

La démocratie, quoi qu’on en dise, reste majoritaire en France. Je veux dire que les gens sont démocrates, qu’ils le restent, et que ça m’effraie. Moi aussi... je reste démocrate, malgré de fâcheuses tendances à l’élitisme dont je ne sais jamais s’il faut que je les combatte ou que je les encourage.

Je sais que si j’étais au pouvoir, j’aurais toutes les peines du monde à ne pas dériver. Car comme les communistes, ces braves gens, je voudrais faire le bonheur de tous, par la force s’il le fallait. J’ai de fortes convictions, que je n’exprime plus depuis longtemps, par une sorte de désespoir politique qui mènerait plus faible que moi vers quelque chose comme le fascisme ; ça prendrait de nombreuses années, bien sûr. Je ne crois pas que je pourrais devenir fasciste. Il ne faut simplement jamais me donner le pouvoir, et les choses étant plutôt bien faites, je n’ai jamais éprouvé l’envie du pouvoir politique. Je n’ai aucune fidélité dans mes passions. Lunatique. Je serais capable de croire que j’ai envie de changer le monde pendant quoi ? un ? deux ans ? et je me lasserais. Il faut de la ténacité pour briguer avec application et constance le pouvoir, l’obtenir, puis tout faire pour ne pas le lâcher, ça fait partie du boulot. Mes deux seules passions durables sont la littérature et la musique, et je ne les traite pas comme il faudrait. Je les délaisse souvent, bien que je leur sois toujours resté à peu près fidèle, les trompant de temps en temps pour le cinéma érotique. Toutes mes autres lubies ne sont que ça, justement : lubies. Les filles aussi — sauf une, sans aucun doute, mais qui a quitté le champ de la passion.

Je reste démocrate et si je l’écris aussi naïvement, c’est parce qu’on m’a déjà — sérieusement, je veux dire, parce que pour déconner, ça compte pas, hein ? — traité de fasciste à deux reprises, sans compter le nombre de fois où, par la simple grâce d’une bagnole un peu trop allemande, des étudiants en deuxième année de philo aussi créatifs que des lombrics, mais plus trotskistes, m’assimilaient à un gros connard de droite sans qu’on ait cependant pu échanger plus de deux mots — sans même parler d’idées — puisqu’ils n’avaient qu’à peine la maîtrise de leur langue maternelle.

La seconde fois qu’on m’a traité de fasciste, c’était une jeune femme qui se disait féministe, ce qui à une époque ne dispensait pas d’être moins conne que Brigitte Bardot, mais tout se perd. J’étais fasciste parce que je trouvais que dans la pénétration sexuelle entrait une part de domination. C’est elle qui m’avait posé la question, je le précise. Je me fous totalement de ce genre de questions, je ne me les pose pas, ou pas en ces termes, et je déteste gloser sur des évidences. Elle m’avait catalogué. J’étais furieux qu’elle me traite de fasciste, pour une seule vraie raison, que je tentai avec un certain succès de lui expliquer : d’amusante, intéressante, séduisante, cela l’avait subitement rendue stupide à mes yeux. Ou pour le moins, aussi immature sexuellement que politiquement. On s’était donc frités, devant un kebab de Pigalle. Sympathique soirée.

La première fois qu’on m’a traité de fasciste, c’était un jeune homme qui se disait socialiste, ce qui à une époque ne dispensait pas de certains idéaux anticapitalistes de base, mais tout se perd. J’étais fasciste parce que je n’avais pas voté socialiste, bien sûr. Cela se passait le mercredi soir de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2002, au Café Jaune, à Montmartre. C’était un blond de trente-cinq quarante ans, qui portait catogan, avec un tout petit peu moins de vulgarité que la moyenne des types de plus de dix-neuf ans qui portent catogan. Son idole était Dominique Strauss-Kahn, et il avait de la sympathie pour Madelin ! Un libéral pur jus, qui me donnait des leçons de pragmatisme socialo. (Si tu te reconnais, souris, tu es filmé !)

C’est à cause de blaireaux de ce genre et des conséquences de leur inconséquence que je ne vote pas, bien que je me proclame démocrate quand il le faut vraiment — dans les tribunaux improvisés en quoi se transforment certains dîners —, et que je ne suis pourtant pas prêt de succomber à ce que je considère comme la plus évidente et commune des compromissions modernes. En effet, il serait plus facile pour moi, plus apaisant pour mon esprit de prendre une carte d’électeur, comme me le préconisent Joey Starr, Djamel Debbouze et Jean-Pierre Bacri. Et j’ai toutes les peines du monde à ne pas conseiller à ma sœur de prendre la sienne de carte maintenant qu’elle en a le droit et, paraît-il, le devoir (et puis quoi encore ?). Car en moi bien sûr sommeille la peur, chevillée à l’âme, du fascisme (quand je vous disais que je n’avais rien à me reprocher), et la conviction qu’on a forgée en moi, pour moi, que la seule arme contre les dictatures est le vote.

Mais on n’a pas cru bon de m’apprendre, à l’école, les perversions du marketing, déjà dangereux quand il est appliqué à la commercialisation de yaourts, et criminel quand il l’est à la politique comme il l’est depuis des dizaines d’années. Le marketing a ravalé la politique au rang d’une foire d’empoigne de VRP indignes et je refuse de choisir une seule de ces putes vendues corps et âme au libéralisme bas du front (certains de mes amis considèrent qu’il y a un libéralisme haut du front, ce qui fait de moi une sorte de stalinien, sur certains sujets). Refuser d’acheter, c’est niquer le marché — c’est même la seule façon de le faire —, et je ne souhaite rien plus ardemment que de voir le marché politique actuel s’effondrer sur lui-même comme une crêpe. Une sale crêpe endive-jambon-béchamel, bien évidemment surgelée et baignant dans l'excès de flotte après passage au micro-ondes. Mmmmh !

Le jour où, devant la peur des désordres politiques qu’une abstention enfin massive ne manquerait pas de provoquer, devant ma propre lâcheté de limonadier « de gauche » imaginant les avenirs incertains, les inflations galopantes, les nuits sans sommeil, devant l’angoisse de précipiter une crise violente qui autrement avancerait à un rythme plus lent et apparemment maîtrisé, ce jour-là, le jour où la peur aura pris le pas sur la réflexion, je prendrai une carte d’électeur, j’irai voter pour les copains de François Hollande, patron du Parti socialiste français, cette bande de lâches, et j’aurai honte, comme jamais. Plus honte encore que si j’avais voté Chirac ; cette honte fictive dont se gargarisent toutes les bonnes consciences de la bourgeoisie de gauche depuis 2002, que personne n’a pourtant forcé à aller glisser un bulletin dans l’urne en se pinçant le nez — comédie insupportable.

Voter aujourd’hui, choisir parmi ces péripatéticiennes-ci, c’est comme se coucher devant Hitler à Munich. On a les Hitler qu’on mérite... Pour paraphraser un clicheton à la mode depuis 68, serions-nous tous des Daladier ?

Et pour que les véritables hommes et femmes politiques, qui existent peut-être cachés, puissent exprimer de véritables projets, bref, pour sauver la démocratie, ce n’est pas voter qu’il faut aujourd’hui ; il faut que les appareils s’écroulent ; il faut détruire le marketing ; pour paraphraser l’abbé Meslier : pendre les marketeux avec les tripes des communicants. En tout cas, agir : commencer donc par rendre sa carte du parti. Brûler sa carte d’électeur. Arrêter avec le prosélytisme puant, culpabilisateur, judéo-chrétien, du « devoir de citoyen  ». Arrêter de collaborer. Avant que la lâcheté l’emporte quand même, et que, pour passer de meilleures nuits, des nuits social-démocrates, autosatisfaites, je me mette à voter pour des libéraux de gauche, pour leur permettre de battre des libéraux de droite, puisque voilà notre horizon politique.

Et tant pis pour les clodos, que Patrick Bateman trucide dans l’indifférence générale, la nuit, dans la rue où ils crèchent à cause des gens de marketing.

Nikita Calvus-Mons le 12/02/06 à 05 h 06 dans Social-traître
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Commentaires

"Fasciste" est l'insulte la plus facile qui soit. Le fascisme n'est jamais où l'on croit. Chez nous, il n'a plus trop l'apparence d'une chemise brune ou d'un costume militaire. Il s'est diffusé chez ceux qui croient ne pas en être. 

monierza - 12.02.06 à 18:04 - # - Répondre -

Pour ce qui est de Daladier, ne pas oublier l'exclamation — vraie ou fausse, peu importe, elle est vraie désormais — qui introduit une certaine profondeur dans le personnage et le rend moins immédiatement repoussant.
Je veux dire par là que, si la réflexion qui lui vient aux lèvres n'ôte rien à sa responsabilité dans la défaite de Munich, elle témoigne toutefois d'une personnalité plus complexe, plus subtile qu'il y paraît — plus cynique, si l'on veut. Un individu de pouvoir, embarqué, mené par le courant, et qui le sait.
Chez nous, en Occident, on passe son temps à se débattre contre sa propre lâcheté, n'est-ce pas ? C'est parfois beau et grand, — le théâtre européen en témoigne, — c'est, la plupart du temps, navrant et désolant. Ce qui nous sauve un peu (aux yeux de qui, du reste ?), c'est notre capacité à l'étaler en place publique.
Poursuivons, têtes butées que nous sommes.

Lee Beria Jr - 18.02.06 à 16:44 - # - Répondre -

Re:

Avec ma 2CV sous Windows Nonante-huit, incapable de me connecter à Wikipedia. Fais-tu référence au « Ah, les cons ! » rendu fameux par Sartre dans Le Sursis ? Si c'est ça, je ne savais pas que cette puissante ligne de dialogue possédait un fond de vérité historique... Un cynique impuissant vaut-il plus, à la Foire d'empoigne, qu'un veule imbécile ?

On a de la tendresse pour la lucidité, quoi qu'elle recouvre.

60millions - 19.02.06 à 14:22 - # - Répondre -

Re:

J'ai réussi à me connecter (brave machine). C'était donc ça. La phrase mentionnée semble quand même fausse (dans un souci didactique, peut-être, mais l'imprécision est fâcheuse, comme souvent chez le Wikikiki en français, au moins). Je parle sous le contrôle exclusif de ma mémoire, n'ayant pas lu Le Sursis depuis longtemps, mais la seconde sentence, pataude comme une réplique d'Alexandre Jardinet, n'a pas été écrite par Sartre.

Je peux néanmoins encore dire une bêtise (probabilité :1 ou 2 %). Ça me ferait mal aux seins.

La vérification est très simple. Bon dimanche !

60millions - 19.02.06 à 14:33 - # - Répondre -

Reuh: Reuh:

Impossible de remettre la main sur Les chemins de la liberté, je ne sais pas ce que j'en ai fait, et le peer-to-peer ne s'intéresse pas vraiment à ce genre de produits — désolé pour la vérif mais je penche avec toi pour la seule exclamation initiale...

Sinon, ça ressemble pas mal, comme situation, à celle de Freud débarquant à New-York (à Ellis Island ?) et s'adressant à Jung pour lui dire : « Ils ne se doutent pas que nous leur apportons la peste  ». Ici encore, la véracité du propos est contestée (p. ex. et de façon si oiseuse ici), mais, au fond, quelle importance ? Tout le monde apprend bien l'histoire de France avec Dumas père, parce que c'est quand même autrement plus emballant que Mallet et Isaac (qui pourtant valent déjà bien leur pesant de noix de cajou).

Mais bon, nous nous égarons.

En fait, je recherchais, à lire ta prose, un vieux post amusant, d'il y a bien six ou sept ans, qui vilipendait l'emploi trop rapide des insultes définitives du type “ Fasciste ! ” parce que ces insultes arrivaient presque toujours trop tôt dans la conversation et ne permettaient pas à la discussion sinon d'aboutir du moins d'engager le fer de façon un peu soutenue. Le post m'avait amusé car il utilisait un  STOP !  à chaque tentative que l'on pouvait faire de placer une insulte du type cité (le propos était illustré de conversations fictives typiques).

Pas plus de souvenirs dudit post. Peut-être dans les Chroniques du menteur ? Si tu sais, tu me dis et tu inscris une bière à mon nom sur l'ardoise.

Lee Beria Jr - 19.02.06 à 23:32 - # - Répondre -

Re: Reuh: Reuh:

Non, je ne vois pas, mais cela me rappelle toute la théorie apocryphe autour du barême Goodwin, ou Godwin, je ne sais plus. En usage dans les fils de forums, cette théorie constamment mise en pratique sans que j'en aie jamais vu la moindre explication quelque part (pourquoi dit-on un point Goodwin ?) stipule que quand un bretteur à court d'arguments en traite un autre de nazi (ou de fasciste), la discussion s'arrête instantanément et un point est attribué à l'auteur de la maladroite invective, qui en général n'a jamais été mis au courant des règles du jeu au préalable. Il apprend donc de ses erreurs, pourrait-on dire. En tout cas c'est amusant. Il doit bien y avoir des trucs là-dessus sur les bibles de nerd, non ?

60millions - 20.02.06 à 13:43 - # - Répondre -

Bien évidemment, ils sont des démocrates....

Je suis évidemment d'accord avec toi, et ton article est le pendant de ce lui qui a été édité sur le Mort-Qui-Trompe ("Pourquoi je m'abstiendrai?"). J'ajoute que les conséquences sociales d'une telle devanture démocratique sont évidemment de jeter des milliers de destinés dans le caniveau. J'ai écrit un petit texte sur ma propre déchéance sociale, lente et inéluctable (Je suis allé aussi loin que possible, c'est à dire à l'orée de ce que je peux encore imaginer de mon avenir): http://www.blogg.org/blog-50803-billet-445174.html

Bien à toi encore. A bientôt amis social-traitres...

andy verol - 30.09.06 à 09:03 - # - Répondre -

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