60 millions de social-traîtres
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
Massacrer Robert Wyatt est un plaisir de bourgeois satisfait
Je n'ai jamais été « fan » de Taxi Girl. En 1979, j'avais cinq ans et j'écoutais la Marche turque de Mozart en boucle ; le quarante-cinq tours fourré dans un étrange appareil désuet qu'on appelait, très chers lecteurs impubères, un mange-disque1.
C'est pourquoi je regarde avec un mépris total le cirque des hypocrites de ma génération se gargarisant du génie maudit de Daniel Darc, dont je ne sais que trois choses :
1/ il a l'air sympathique et perdu ;
2/ son Cherchez le garçon fait parfaitement l'affaire dans les soirées d'appartement françaises, entre un gâteau au chocolat trop cuit, une lampée de champagne acide et deux autres morceaux de new wave, mettons A Forest de Cure (coupé avant la fin par une conne qui veut danser) et Marcia baila des Rita Mitsouko (coupé avant la fin par un con qui n'aime pas la variété) ;
3/ son come-back est, hélas, une pantalonnade de la pire espèce.
Hier soir, Daniel Darc est arrivé sur la scène du bourgeois théâtre Marigny, où un hommage était rendu à Robert Wyatt par l'« Orchestre national de jazz » (peut-on faire plus pompeux ?). Darc a débarqué sur la scène en lunettes noires, et en titubant. Il a ensuite « chanté » O Caroline, d'une voix plus qu'hésitante et nasillarde, sur le tapis de jazz soft et chiant que déroulait le batteur avec ses balais ; batteur (Yoann Serra) par ailleurs excellent toute la soirée, mais je n'ai jamais pu saquer les balais ni le jazz mou.
Daniel Darc s'est insulté, hier soir. Il a joué à son tour le rôle connu de l'ancien punk ayant frôlé la mort, en rédemption chez les bourgeois qu'il haïssait, ou hait encore, on ne sait pas. La récupération n'a jamais été aussi évidente qu'avec Daniel Darc. Convoquant (malgré lui ?) les fantômes de Gainsbourg et Bashung, comme Raphaël convoquera celui de Bowie après sa mort, il a fait son crooner et s'est vautré. Pendant toute cette torture, j'ai pensé aux enculés qui dans l'ombre manipulent Darc ; de toute évidence ce type-là aurait passé une soirée bien meilleure en restant alité avec une infirmière à domicile. Les gens qui font croire à ce mec qu'il a du génie aux seules fins de profiter de sa petite aura sont en effet des enculés. Management, maison de disques, tourneur : tous des enculés. D'ordinaires enculés, certes, dans le merveilleux cirque de l'industrie musicale...
À part la prestation honteuse de Darc (qui a même essayé avec l'énergie du désespoir, à la fin du morceau, de relancer le groupe à coups hésitants de scat pathétique — et y est arrivé, nous gratifiant d'une improvisation catastrophique à peine digne de garage rockers débutants), j'ai bien aimé la musique hier soir. Il faisait trop chaud, mais pendant le cocktail le champagne et les petits-fours étaient bons.
En voilà un qui n'est cependant pas aussi gentil que moi, et n'a pas tort :
Nous venons de voir ce concert. GROTESQUE. C'est le seul qualificatif qui me vienne à l'esprit. Les « artistes » ce soir se sont bien moqués de nous. La cerise sur le gâteau : Daniel Darc, ivrogne sans talent nous jouant la pire partition. Et le final d'autocongratulations interminable sans un mot ni merci pour Wyatt, la grande classe messieurs, ce soir vous avez trahi l'œuvre de celui que le public venait célébrer en vain. Plus jamais je n'irai revoir l'ONJ et par la même occasion je m'abstiendrai de remettre les pieds au théâtre Marigny, complice de ce désastre.
Il faut dire que quand on a payé sa place et que le type s'occupant de la « création vidéo » n'est même pas capable de brancher son ordinateur correctement sur le projecteur (écrans « bleus » en pagaille, et en dix mètres sur sept), on peut trouver ça irritant. Nous n'avions pas payé notre place — ce qui nous offrait le droit de prendre part au cocktail. Logique imparable.
D'accord, la musique était par moments intéressante. J'ai quand même cru que Wyatt était mort sans que je m'en sois aperçu : sa voix et sa « présence », annoncées sur le programme, n'étaient que des... enregistrements. Le jazz est depuis longtemps une musique de bourgeois morts et confits dans la graisse d'oie. Laissons-le à Pierre Lescure et Robert Hossein, boutiquiers gras et confits du théâtre Marigny.
1C'était comme une clé USB, mais ronde, et le port était vingt fois plus large, et la contenance de la clé atteignait 5 Mo par face (en 45 tours/minute), mais les convertisseurs analogique-numérique n'existaient pas, donc ce n'était pas comme une clé USB. Mais presque.
Nikita Calvus-Mons le 27/10/09 à 16 h 53 dans Musical-traître
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Commentaires
Les mange-disques méritaient leur nom...
... quand ils te mangeaient véritablement le 45 tours que tu leur filais. Encore que "mâche-disques" aurait été une meilleure description.
Hélas, je connais certains de ces complices qui ont remis Daniel Darc au goût du jour. J'avoue aussi que, même si j'étais en âge d'acheter à l'époque des 45 tours justement, je n'ai jamais été un fan de Taxi Girl, qui pour moi n'était qu'un one-hit wonder annoncé. J'ai toujours trouvé le retour de Darc un poil forcé, mais apparemment ça relève carrément du viol, vu ce que tu nous décris là.
Ce qui est marrant, c'est que ces gens que je connais sont de ta génération, voire plus jeune (bah oui, t'es pas si vieux, mais t'es plus si jeune non plus mon gars), et qu'ils semblent en effet vouloir se fabriquer un fantôme des années 80, un témoin désuet d'une période qu'ils n'ont pas vraiment connue mais dont ils admirent l'héritage musical, qui est pourtant encore encombré de grosses merdes puantes que la prospérité, cette vieille salope qui a pourtant d'habitude plutôt bon goût, n'a pas encore eu le temps de mettre à la poubelle de l'oubli. La décennie reste donc polluée par des airs à la con qui ne subsistent qu'à cause du penchant pour l'ironie que cultivent soigneusement les hipsters de Versailles ou de Ménilmontant.
Arnaud H - 27.10.09 à 17:34 - # - Répondre -
← Re: Les mange-disques méritaient leur nom...
Doux Jésus, les hipsters ont pris Versailles !
Ou peut-être n'a t-il pas été manipulé, peut-être que c'est l'engrenage dans lequel tomberait n'importe qui, qu'il est juste accro à la scène, ou au fric, ou les deux, tel les vieux symboles de la jeunesse rebelle qui remontent sur scène dans des festivals à la con, The Sonics et compagnie. Ceux-là ne sont pas des déchets, plutôt bien conservés les papys, mais des zombies sur pattes, en les voyant on pige tout de suite que le rock est mort.
C. - 28.10.09 à 09:21 - # - Répondre -
Darc vador(mir)
1/ j'aime bien cherchez le garçon (chercher ?). j'ai toujours trouvé que si tu peux faire une chanson comme ça tu es maître du monde. Du coup mirwais a gagané le gros lot. ça rend Darc sympathique, ça aussi.
1-2/putain mais les gens aiment vraiment les disques de Darc ???
2/ qu'il est bon de lire enfin quelque chose de sensé sur le jazz
3/ l'ONJ HAHAHAHAH.JE suppose que l'état français fait pleuvoir du fric sur cette saine initiative
G - 18.02.13 à 11:33 - # - Répondre -