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60 millions de social-traîtres

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Merci à Desproges, Gainsbourg et Miossec

« Mais on s'en fout, de la clochette des livres-disques, putain, on est pas Philippe Delerm ! »

Voilà ce que je viens de me dire, en même temps que j'effaçais une première phrase qui ne promettait rien de bon. C'est qu'hier soir, avec A., le gai lusitanien de la place Péreire, et D., le non moins gai dionysien du boulevard Richard-Lenoir, on a parlé de ça, chacun dans son fauteuil, je vais vous décrire ces trois fauteuils, parce qu'ils valent le détour : le premier, je suis assis dessus, a subi longtemps les assauts griffus d'un chat, et il s'en ressent, ressemble à un théâtre d'opérations libanais ; le deuxième, A. est assis dessus, est en cuir, de forme élancée, triangulaire, la base du triangle sous les genoux, le sommet (la pointe) derrière le cul de l'impétrant, l'impétrant étant le type qui a décidé de s'y asseoir, fauteuil donc en quelque sorte ouvert, projeté vers un avenir qui ne peut être que grandiose, un peu socialiste donc le fauteuil bien qu'acheté trop cher dans un supermarché pour bourgeois sans imagination, socialiste et un peu espagnol, avec son petit cul pour éviter les coups de corne ; le troisième fauteuil, plus rigide, plus petit, presque minable en comparaison de l'objet moderne susdécrit, est une vieillerie en bon état, datant de Louis XV, D. est assis dessus, je l'ai récupéré chez ma grand-mère (le fauteuil), qui habite dorénavant dans une maison de retraite (ma grand-mère), ce qui nous ramène à la cruauté et à l'individualisme régnant dans nos sociétés où les vieux doivent être rangés quand ils ne servent plus. Je mets ici un point pour ne pas être taxé once more de pédantisme avec mes phrases trop longues. Les gens aiment lire des choses simples. Nous devisions donc allégrement, tous les trois campés dans nos fauteuils, dégustant de somptueuses pâtes à la Calvus-Mons (dinde, moutarde, crème fraîche, miel, muscade, poivre...), de Walt Disney, en fait de nos respectives premières séances de cinéma, qui dans deux cas sur trois avaient sans doute été des dessins animés de ce gros con de Walt. Je situais ça en ce qui me concerne aux alentours de la reprise de Pinocchio dont l'encyclopédie que vous savez m'informe qu'elle eut lieu en avril 1978, j'avais quatre ans, c'est donc peu probable, était-ce plutôt Cendrillon ? En tout cas c'est de Pinocchio que j'avais le livre-disque, avec le son de clochette et la grosse baleine Monstro. Et cette angoisse de mort...

Et c'est vrai qu'a posteriori je m'effraie un tantinet : j'ai bien failli pondre dix ou quinze lignes sur la clochette des livres-disques, celle qui indiquait au môme qu'il fallait tourner la page. Il y a un enculé de Philippe Delerm en chacun de nous, qu'il convient de réduire au silence à intervalles plus ou moins réguliers. En général, c'est quand on n'a rien de bon à écrire, mais qu'on a quand même envie, comme d'uriner entre deux voitures dans un parking souterrain, histoire de participer au festival de l'âcreté. Il n'y a aucune raison pertinente pour m'empêcher de déverser le fascinant contenu de ma vessie entre une BMW série 7 et une Peugeot 504 rouillée si dans les heures précédentes vingt-deux connards (en short ou pas, là n'est pas la question) ont cru judicieux de le faire avant moi.

La nostalgie, camarade ! Crachons (dessus) veux-tu bien ?

Nikita Calvus-Mons le 09/04/09 à 16 h 04 dans Littéraire-traître
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Commentaires

Non, je ne cracherai pas sur un renard jouant Robin des Bois.

Bibro - 10.04.09 à 00:30 - # - Répondre -

Nostalgie

Peut-on m'expliquer, pour encore qu'il en vaille la peine, d'où sourd cette aversion pour la nostalgie que je constate chez nombre d'hommes de goût ?

La nostalgie, c'est aussi une idée, c'est un avatar d'une certaine forme de beauté dont le présent ne peut qu'être pauvre, c'est une forme de l'imagination qui veut s'enraciner, qui veut enraciner un désir et le rendre possible car ayant été. Non ?

Je veux bien que le présent et ses crevasses dussent être considérés crûment pour que la vérité ait sa livre de chair quotidienne, que le passé fasse nécessairement l'objet d'un sain inventaire à la lumière blafarde de la lampe torche à LED et que le beau soit épuré de toute mièvrerie (les clochettes des livres-disque en font sans doute partie). Mais pourquoi, au-delà de ce discernement nécessaire, s'interdire le désir de ce qu'on a perdu et à quoi on tenait, ou dont on s'aperçoit trop tard qu'on aurait dû y tenir ?

Ca m'échappe.

Je sais que tu sauras l'expliquer.

vfwh - 13.04.09 à 02:39 - # - Répondre -

Re: Nostalgie

Ca m'échappe un peu, aussi. Mais pour moi il y a une différence entre le culte de la nostalgie et la nostalgie elle-même. Bien sûr que je suis nostalgique de temps en temps, mais je trouve "petit", "facile", ce qui consiste à exploiter la fibre nostalgique et cette fibre seulement.

Quant à "s'interdire le désir de ce qu'on a perdu et à quoi on tenait, ou dont on s'aperçoit trop tard qu'on aurait dû y tenir", c'est évidemment une grosse bêtise, et je suis très bien placé, ces temps-ci, pour le savoir... "S'apercevoir trop tard", c'est ça. Parfois, il n'est pas trop tard, et on ne le sait pas.

60millions - 15.04.09 à 10:27 - # - Répondre -

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