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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Le calvaire des volailles

Prolégomènes à toute tentative
de défense des droits de la volaille

Les canards valent bien une messe. Des raisons indépendantes de ma volonté ont tellement caviardé le texte que j'étais en train de pondre sur ton blog, Philippe, suite au visionnage du film sur le gavage cité hier, que je préfère en faire un article ici, parce que je sais que ça va être long. Et que ça ne dira rien, rien de neuf. Mais au nom des canards sauvages de la prairie des Philtres, évoluant gracieusement au-dessus des rives de la Garonne, qui m'ont fait rêver pendant une longue après-midi, voici un petit requiem.


Première partie : Le calvaire des dindes

Il y a un truc saisissant : voilà deux fois que j'observe la brand new miss France sur des plateaux de télé et à chaque fois je suis consterné par son air très peu spirituel, en tout cas la fille est réellement très mal à l'aise, et aussi séduisante qu'une oie de gavage. Je veux dire, elle ne semble pas beaucoup plus vulgaire qu'Aure Atika dans La Vérité si je mens, et comme girl next door elle passe pas mal, tant que tu ne l'entends pas t'expliquer que « par rapport aux études [qu'elle fait] » (et qu'on lui a évidemment conseillé de mettre en avant à chaque interview, pour enfin tordre le cou à la rumeur persistante comme quoi les Miss seraient des connes), elle se doit de « suivre l'actualité » (je ne sais plus à quel sujet elle répondait ça). Ce qui est une idiotie énorme ! Je rappelle qu'elle est en hypokhâgne. Et après on s'étonne que je n'ai jamais eu le moindre respect pour les étudiants en général... Hypokhâgne ! Quelle cruche ! Et on a vu des monceaux de miss France moins connes, et moinsY aura-t-il de la dinde à Noël ? étudiantes, évidemment.

Bon, le rapport avec les oies a l'air lointain mais pas du tout. C'était, cette première partie, une digression — et pas une disgression comme je l'ai lu deux fois en deux jours chez des gens sachant écrire mais ayant peut-être trop traîné dans les facs de lettres ou en hypokhâgne.

Je me coupe, car l'ineffable Geneviève de Fontenay vient de dire, en parlant du Téléthon (le vrai, pas le sien, qui s'écrit Télé-thons) : « Les petits myopathes ils aiment bien miss France, et puis ça vaut mieux de voir miss France que de voir un film de violence, un film amerloque ! » Ce dernier mot prononcé avec la grâce mutine d'une poissonnière de la rue Marcadet en pleine période : miam ! Souffrez, déplorable électrice d'Arlette Laguiller, que je préfère pourtant, pour la santé de mes synapses, le spectacle d'un excellent Miami Vice ou des Infiltrés de Scorsese — qui a encore mis Gimme Shelter dans un film, au fait, le saint homme.

Et les volailles, merde ! s'impatiente le lecteur à qui l'on a promis des choses. Eh oui mais c'est que le film sur le gavage m'a remué, et qu'il n'est pas question de faire de l'humour, ce soir, sur le sujet. C'est trop facile et je l'ai déjà fait. Alors j'ai tout expédié avant, dans une première partie fictive — je veux dire, j'ai tout lâché sur les Miss, ah, ah. Que d'esprit gaulois.


Deuxième partie : Le calvaire des canards

C'est vrai que ce film ôte toute envie de faire de l'humour, pendant quelque temps ; pendant quelques heures, pas plus, mais c'est déjà ça. C'est un film de propagande, comme le souligne Marc, mais pas aussi manipulateur que ça : certaines scènes n'ont pas besoin d'effets spéciaux pour faire presque chialer, notamment les deux scènes cruciales du début de la vie de ces bêtes (si le destin minable d'un poussin jeté vivant à la broyeuse ne vous émeut pas, c'est que vous êtes très intelligent, froidement intelligent, et que ça ne vous avance à rien — sûr que miss France est aussi révoltée que moi devant ce tri sauvage) et de la fin atroce, en laboratoire, des mâles qui ont échappé au tri, à cet eugénisme volailler : électrocutés pour les étourdir et égorgés quelques secondes après. La caméra filme au ralenti celui qui agonise alors — voilà la propagande stigmatisée par Marc, à raison — et l'effet obtenu est connu depuis la boue d'Armero, Colombie.

Ce qui me semble certain, c'est que les gens qui s'enthousiasment pour la cause ne sont probablement pas des amateurs de foie gras, ce qui leur rend le combat évident et facile, et à nous pas si évident une fois l'émotion, réelle, retombée ; car le cerveau humain moyen semble faire une distinction ontologique, une séparation essentielle, entre l'horreur réelle du gavage et la dégustation du foie gras.

L'humanité en marche

Entre la tranche de foie gras et le caneton gavé jusqu'à en crever, il existe la même différence qu'entre le carré de poisson pané et le colin originel, évoluant gaiement dans les eaux fraîches de l'océan : cette différence qui empêche notre cerveau, heureusement, de faire le lien. Le truc de chez Findus nous rappelle davantage la cantine de notre enfance que le représentant malheureux de l'espèce Pollachius virens qui lui a légué sa chair. Il n'y a aucun lien logique apparent entre un tournedos Rossini et un canard, même si on sait. Et on sait : ces images ne sont pas inédites, des reportages contre le gavage, il y en eut même de diffusés à la télé. C'est cette absence de lien logique qui nous permet de bouffer, sans trop culpabiliser.

L'humanité est suffisamment « bien organisée » (ne parlons pas des dommages collatéraux, ici) pour préserver sa majorité et condamner une minorité aux sales besognes de l'abattage. Est-ce que ce n'est pas ça, la civilisation, s'arranger avec la violence inhérente à la vie ? Je veux dire, regardez cinq minutes un documentaire animalier.

L'objection, je la sens venir. Le foie gras est une perversion, une cruauté particulière (eh oui : un raffinement, comme on le dit de la torture), on n'a pas besoin de manger du foie gras. C'est vrai. Mais on n'a pas besoin de manger de la viande, non plus. J'ai des amis végétariens bien portants. La Californie avance. A priori, je ne vois pas de raison de penser que les conditions d'abattage des vaches laitières réformées sont plus humaines (ceci est une pierre dans le jardin des adversaires sensés de l'anthropomorphisme, pour lesquels, dans ce débat, un canard ne souffre pas, ce qui me semble un peu court).

Il y a 95 % de chances pour que je mange, cette année encore, du foie gras dans les jours qui viennent (et si je n'en suis pas certain à 100 %, c'est seulement parce que je ne fêterai pas Noël à table, cette année). C'est ce que je me disais en même temps que je voyais ce film, qui me sidérait et m'émouvait, mais je savais bien que la raison l'emporterait. La raison, je dis bien, par opposition à l'émotion, à la passion.

Et merde, Di Folco, tu m'as vraiment pourri les papilles avec ton film ! Le confortable aveuglement devient difficile. Pourtant, je continue à faire marcher la filière, comme tout un tas de cons. Je ne suis pas le pire, mais ça ne consolera aucun caneton femelle sacrifié à la naissance, ni aucun canard égorgé en laboratoire après ce qu'on hésite à appeler une existence.

Je crois que je pourrais me passer de foie gras, bien sûr. Mais là n'est pas le débat... Sinon ce serait déjà une question réglée : tu montres le film à l'école pendant deux générations (une fois que l'Alsace et le Sud-Ouest ont fait sécession, s'entend) et les canards se mettent enfin à voler en paix et à connaître l'orgasme avec les femelles qu'on ne sacrifie soudain plus.

Pourquoi n'est-ce pas aussi simple ? Pourquoi suis-je persuadé que ce film n'empêchera pas grand monde de remanger du foie gras à la première occasion (qu'il ne prêche qu'à des convertis, en somme, comme souvent les actes de militance trop primaires) ? Pour moi est un peu fou celui qui ne profite pas du bœuf en Argentine, par exemple. Et l'idée du poisson de synthèse et des gélules nutritives m'effraie. Mais au fond, c'est peut-être le sens de l'Histoire. Dissocier plaisir et nourriture.

Bon, eh bien je suis fier de n'avoir rien apporté au débat, qui ne m'a pas attendu ! Je suis révolté devant le film, oui, mais je sais pourtant au moment même où je le regarde, à deux doigts de détourner les yeux du spectacle atroce de l'égorgement, que j'oublierai tous mes scrupules, que je n'en ai même jamais eu un seul, par la faculté étonnante de mon cerveau de me transformer en bestiole civilisée, découpant, cuisant et accommodant la viande pour oublier ce qu'elle est — payant même des gens pour ce faire.

Katerine a fait une belle chanson sur l'itinéraire d'un poulet de batterie. Drôle, cynique, pas dépourvue de cette compassion, j'en jurerais. Je crois qu'on s'est tous un jour ou l'autre visualisé la vie d'un de ces poulets qu'on trouve dans les supermarchés. Est-elle trop facile, la pirouette qui consiste à s'en laver les mains, parce que « ça a toujours été comme ça » ?

J'ai été ému par ce reportage qui joue efficacement sur la fibre anti-concentrationnaire, mais je ne me battrai pas. Et puis avec qui se bat-on ? Les défenseurs des animaux, on connaît... et cette analogie concentrationnaire, justement, pue un peu, non ?


Troisième partie : Conclusion

Et ce n'est pas un mensonge : j'ai été aussi mal à l'aise en regardant le film sur le gavage des canards qu'en assistant au martyre silencieux de miss France devant les questions des animateurs — dont : « Sachant qu'il faut cent vingt boules de neige pour faire trois bonhommes, combien de boules faut-il pour faire un bonhomme ? » et « Si je vous dis dinde de Noël, à qui pensez-vous ? »

Les preuves sont accablantes : le monde court à sa perte et nous sommes dans l'exact inverse d'un âge d'or.

Nikita Calvus-Mons le 23/12/06 à 01 h 23 dans Gastro-traître
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Commentaires

Champagne !

Je suis surpris que tu n'évoques pas non plus le sort de tous ces petits grains de raisin joliment (noblement !) pourris qui pourraient être promis à un avenir brillant et qu'on finit par conditionner et massacrer vivant avec du CO² afin de complaire aux palais dépravés de tous ces connards de bouffeurs de volaille.

http://www.arretezdeboireduchampagne.org
http://www.vitisviniferaforever.free.fr
http://www.sanpellegrinodanstoncul.it

np - 23.12.06 à 09:40 - # - Répondre -

Oups j'ai répondu avant d'avoir vu cette note, très bonne. 

pimpeleu - 26.12.06 à 18:16 - # - Répondre -

Re: J'ai corrigé

En fait, elle est partout celle-là... Et je ne savais pas, pour la Sorbonne, juré. C'était l'occasion de dire du mal des hypokhâgneux (merci à miss France) sans laisser croire aux faqueux qu'ils n'en méritaient pas un petit coup. Ma sale propension à l'égalitarisme dans l'insulte, quoi.

Dis donc, c'est révisionniste de corriger ses fautes, non ? (T'es de droite ?)

60millions - 27.12.06 à 11:12 - # - Répondre -

Au royaume des aveugles...

Je trouve ces canards biens chanceux d'être dépourvus d'une belle fourrure.

http://www.petatv.com/tvpopup/video.asp?video=fur_farm&Player=wm&speed=_med

Pailmoi Hassek - 27.12.06 à 16:36 - # - Répondre -

Je pense que vous vouliez plutôt  dire le colvert des canard...

Saturnin - 29.12.06 à 21:54 - # - Répondre -

J'ai remangé du foie gras

Cher Tom,

La 2e partie de tes prolégomènes met en lumières le déchirement originel qui immane dans la "Question humaine" dès qu'on l'aborde, d'où qu'on l'aborde.
Mille sabords ! J'en ai rebouffé, oui da, et deux fois encore. Mais avec une pointe de remord, du bout de la lame, un rien de dégoût aussi, je dois l'avouer, l'enchantement était corrodé. Donc ce documentaire a fait son chemin dans mon imaginaire. Un trauma, au sens premier. Un sillon.
Nous sommes les maîtres apparents de la Terre. Labourage, élevage, extraction, transformation, pollution... Nous pourrions limiter la casse. Mais difficilement changer tous les modes de vie en même temps. Cet au delà révolutionnaire est une utopie. Le concret, c'est de se demander comme tu le fais si bien : "Est-ce utile de manger du foie gras ?". A partir d'une série de questionnements éthiques, on parvient à un seuil possible de résistance. Tout individu honnête avec lui-même peut cheminer ainsi. Funambule bancal interrogatif avançant sur le fil de la vie, tel est l'humain.
Affection à toi.

di folco - 30.12.06 à 14:12 - # - Répondre -

J'arrive toujours après la bataille et j'ai encore bu, du coup je n'ai honte de rien et j'en profite donc pour vous refourguer un texte pondu il y a plusieurs années sur la question du foie gras, dont j'espère à nouveau qu'il mettra tout le monde d'accord.

"L'oie est un animal fascinant. Stupide et sournoise, elle n'aurait connu tout au long de son existence d'autre occupation que de nous bouffer les doigts si l'on n'avait eu un jour l'idée, géniale, de la gaver. Par ce procédé simple, traditionnel, on donne à l'oie le foie hypertrophié qu'elle réclame et qui lui permet d'accomplir son véritable destin - l'oie est faite pour être une nourriture exquise, l'oie est faite pour être mangée sur des toasts encore chauds, à l'évidence elle est faite pour notre plaisir. Et pour qu'on ne me reproche pas de m'être contenté de cette perspective humano-centrée, essayons d'envisager les choses du point de vue de l'oie elle-même, pour comprendre à quel point le gavage relève du dessein divin.

En transformant un oiseau désagréable en un foie gras exquis, le gavage aide l'oie à trouver sa place dans un monde de plus en plus complexe, il lui permet de prendre conscience de son identité, il donne du sens à l'existence catastrophique d'un volatile qui, non content d'être bête et méchant, aurait également pu être inutile. Si l'oie vient d'elle-même réclamer le maïs qui causera sa perte, ce n'est pas seulement par bêtise ou par gloutonnerie - c'est parce qu'elle sait, au fond, que sa seule chance d'apporter quelque chose à la société est constituée par son foie. Certes, il lui faut endurer des tortures que nous peinons, nous humains, à concevoir, mais l'oie a tout le courage nécessaire pour supporter la souffrance : l'oie est prête à tout pour échapper à la médiocrité de son existence, car elle sait, d'instinct, que son destin est tragique. C'est dans la souffrance seule que l'oie peut trouver sa dignité, et cela mérite, à tout le moins, notre respect.

Militants de la cause animale, rejoignez-moi : faites aux oies l'honneur d'être mangées."

Général Spinoza - 07.01.07 à 00:49 - # - Répondre -

Les petits chinois, ce sont les canards gavés du textile.

Je pense que ton texte est remarquablement écrit. Je pense, au contraire de ce que tu penses, qu'il fait avancer la bête/l'/homme.

Comme je disais à un Cégétiste raciste et adepte des soldes: "Il faut choisir: faire des affaires, consommer et se sentir bien dans ses pompes comme ça, ou se ruiner l'existence à penser à ceux qui crèvent de nous permettre notre confort". Il n'a pas tiqué. Il n'a pas saisi l'ironie... Il n'a rien compris... Sache simplement que tu aimes le foie gras. C'est normal. C'est délicieux. Tu aimes les petits canards. C'est normal, c'est vraiment mignon/tout/con... Mais tu dois te révolter pour une chose essentielle: le foie gras est de plus en plus mauvais, vendu de moins en moins cher... Et là, très sérieusement, je me dis que ça ne vaut pas le coup de zigouiller du canard boîteux/gros/l'bide pour un produit d'une qualité si médiocre...

Ce que je veux dire, c'est que chacun fixe les limites de l'ignominie... Chacun décide de ses limites en matière d'horreur... Mais, au fond, ça n'est pas ton égoïsme, ton côté épicurien, ou ton désir de toujours/plus qui pose problème, c'est l'oubli du monde, le refus de paix...

Un musulman considère comme un blasphème de bouffer du porc. Un hindouiste considère comme un blasphème de bouffer du boeuf. Un chrétien considère comme blasphématoire de bouffer de la viande le vendredi. Un végétarien considére blaphématoire de se nourrir de viande. Un anglais trouve ça dégueulasse qu'un français ou un chinois puisse bouffer de la grenouille. Un républicain considère impossible d'accepter les communautés... C'est sans fin... L'immensité totale... L'abîme...

Un intellectuel de gauche trouve ça cradingue qu'une pétasse abrutie puisse devenir une miss nationale. Un mec de droite (et de gauche aussi énormément aujourd'hui) ne comprend pas que l'on puisse souhaiter la mort des flics. Une maman n'accepte pas que l'on dise que son gosse naissant n'est qu'un organisme sanglant braillant. Un nazi ne supporte pas qu'un juif puisse exister. Un américain ne peut concevoir le communisme que comme une maladie. Un communiste ne perçoit l'américain que comme un ignoble assassin.

C'est vraiment sans fin...

Mais franchement, gaver des canards, c'est excellent, si c'est pour faire un foie gras à s'en taper toutes ses idées, ses idéologies, ses préjugés par terre.

Merci à toi.

http://andy-verol.blogg.org

andy verol - 12.01.07 à 22:47 - # - Répondre -

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