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60 millions de social-traîtres II

« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Sueurs froides (Vertigo)

En survolant ces lagons roses (et en me demandant, comme toujours, pourquoi c'est le mot lagon qui me vient à l'esprit, et si c'est bien le mot juste, et probablement que non) dans une anacoluthe brutale la liste des chanteurs morts dans des accidents d'avion s'invite dans ma tête rendue molle et farineuse par la débauche alcoolique de la veille au soir et la colère du foie qui est jusqu'à nouvel ordre et éventuelle greffe toujours le mien, je veux dire reconstitué dans un chantier permanent (et sans fin envisageable à court ou moyen terme) par mon propre ADN, celui qui code aussi pour mes yeux tristes, ma pilosité de primate et le fait que je ne suis toujours pas, until further notice, un pédophile pratiquant.

Otis Redding, qu'un comique télévisuel surnomma une fois « Octave le Rougissant », s'invite donc dans mon esprit, Otis Redding mort le 10 décembre 1967 dans l'écrasement de son avion personnel. Buddy Holly bien sûr, le parangon des chanteurs-morts-dans-un-accident-d'avion, la chair à saucisse idéale des quiz télévisés et des après-midis Trivial Pursuit, décédé huit ans et même presque neuf plus tôt, le 3 février 1959 avec Ritchie Valens, dont on se fout. Mon esprit étant étroit, il n'a plus de place pour d'autres chanteurs que ceux-ci, en réalité il s'égare à présent du côté du sport, de l'équipe de Manchester United décimée le 6 février 1958, soit à peine moins d'un an plus tôt, le United de Charlton, et voici dans ma caboche la tête jobarde d'un Philippe de Villiers quadragénaire filmé en train de jongler avec un ballon lors d'un reportage dans les travées de l'Assemblée en 1986, le jour du huitième de finale de la Coupe du monde mexicaine entre la France et l'Italie (premier titre du journal télévisé d'Antenne 2 ce soir-là, avec cette accroche merveilleuse : « Venger Vercingétorix »), et de Villiers — je sais on dit Villiers mais j'encule la noblesse fin de race — déclarant à moitié en sueur, cheveux dans le cou : « Quand j'étais jeune on m'appelait Charlton, parce que je mettais la tête. » Et moi je mets les doigts pensé-je en observant l'hôtesse, luttant dans cet avion above the sky of California pour ne pas m'endormir car j'ai peur de mourir dans un accident d'avion sans avoir eu le temps d'en profiter. J'essaye de me concentrer à nouveau sur les chanteurs morts en l'air mais ne surgit timidement que Daniel Balavoine, le petit gros crypto-gauchiste de la variété française, hors concours avec un crash d'hélicoptère pendant un rallye, si je me souviens bien, donc ni avion ni tournée en cours, même sa mort au fond demeure très « variétés » (à une époque la question de savoir dans quel contexte mettre un s ou non à variété faisait partie de mon boulot ; vertige de l'inutile !). La vulgarité tapageuse du rallye s'adapte parfaitement à la ringardise clinquante des arrangements du petit gros qu'on idolâtre encore (mollement) dans les salons Ikéa des gens qui n'aiment pas la musique, mais qui possèdent toutes les versions de Starmania que l'industrie, pas folle, sort à intervalles fréquents sur le marché puisque bel et bien existe ici une manne, une niche immense d'inculture et de conformisme où sommeillent comme sur leurs rêves adolescents perdus nos légions d'employés de bureau, tickets restaurant en poche, aux horaires à peu près fixes, même ceux des imposteurs qui prétendent travailler soixante heures par semaine, imbéciles violemment motivés par l'élection de Barack Obama dans ce très grand pays qu'ils ne connaissent pas, eux qui ont voté en majorité pour Sarkozy l'année dernière dans ce petit pays donneur de leçons qu'est la France, fille aînée de Benoît XVI, sous-pape.

Donc, tous des cons, pensé-je dans cet avion anachronique puisque la scène se passe il y a deux ou trois ans et que ni Sarkozy, alors chasseur de racailles au Kärcher, ni Obama, caution anti-raciste en col blanc (holà, terrain glissant, et la ségrégation alors ? et le KKK c'est de la roupie de sansonnet peut-être ? me glisse mon côté clair, alors que mon côté obscur est sur le point de proférer une insulte aussi subtile qu'un bout de pamphlet antisémite célinien, et cela pour le seul goût de la provocation des veaux, quel plaisir déplorable...), ni Obama, ni Obama, ni... je ne finirai pas cette phrase car j'en ai plein le dos. Bummer.

Nikita Calvus-Mons le 06/11/08 à 19 h 46 dans Littéraire-traître
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Commentaires

Mâtin, quel haiku !

Mais quel dommage qu'il s'interrompe aussi… vite. Il faudrait tenir la distance. (Oui, on sait, il y a le foie.)

Comme je descendais moi-même des fleuves impassibles, j'étais parti pour tenter d'exhumer de vieilles traces de variété/variétés (pour comprendre, hein, pour comprendre, ne vois pas le mal partout), sans succès. N'était que les moteurs de recherche ne sont pas à une potacherie près et m'ont très gentiment amené à cette page qui commence par un vigoureux :

Séminaire "Variétés rationnelles"
(seminal, haha, mais séminaire, c'est fort aussi, surtout le petit)

et se poursuit par une petite merveille :

Le groupe fondamental pro-résoluble d'une courbe algébrique affine

Le groupe fondamental (pro-fini) d'une courbe algébrique, disons sur un corps algébriquement clos de caractéristique zéro, est bien connu. Il dépend seulement du genre g de la courbe, et du nombre r de "trous", si r est plus grand que 1, il est libre de rang 2g+r-1. La preuve de ce résultat purement algébrique repose cependant sur des arguments transcendants, en particulier sur des théorèmes de comparaison de type GAGA.
Dans cet exposé, je vais présenter un travail en commun avec Michel Emsalem contenant une preuve algébrique d'une version faible de ce théorème, où nous considérons seulement le plus grand quotient pro-résoluble du groupe fondamental d'une courbe algébrique affine.
Si le temps le permet, je parlerai d'une tentative de dépasser le cas pro-résoluble.
(DMA, ENS)

Et je ne suis pas bien sûr qu'un Manoeuvre ne se soit pas laissé aller à qualifier Balavoine de « rocker », certes en 1975, mais bon — voire de l'introniser en Marc Bolan de chez nous. Tout ceci, me diras-tu, c'est de l'histoire ancienne.

Si, à l'occasion, tu pouvais éclairer ma lanterne sur ce qu'est un théorème de comparaison de type GAGA, je t'en serais infiniment reconnaissant, d'autant qu'on saura alors ce qu'elle sait faire, cette lanterne.

Lee Beria Jr - 06.11.08 à 23:05 - # - Répondre -

Re: Mâtin, quel haiku !

Haha. Je suis sûr que tu as déjà trouvé ce que c'était (je n'en sais fichtre rien). Pour la longueur non tenue à cause du foie, je plaide coupable, votre honneur. Rien de sérieux ne peut être entrepris dans ces conditions ! Mais du blog, oui, ça...

60millions - 10.11.08 à 17:35 - # - Répondre -

Tous des cons

Il est malaisé de s'identifier. Pourquoi à la fois comprends-je ce que tu dis et trouvé-je ton post très beau alors que cette niche de conformisme et d'inculture (musicale, je suppose) dont tu parles, je m'endors dessus, tant elle m'est irrésistiblement confortable ou plutôt, devrais-je dire, douillette ?

Qu'est-ce qui mène les larmes à mes yeux et fait se contracter ma cage thoracique, en égale mesure (et, j'en ai la vague intuition, pour en partie les mêmes raisons), lorsque j'écoute en Mars le discours de Philadelphie d'Obama ou celui de Chicago hier et lorsque j'entends Daniel-mort-dans(sous)-un-hélicoptère hurler "j'veux mourir malheureuuuux heuuu heuuuu, pour ne rien regretteeeeer  héééé héééé" ?

Alors même que j'aime aussi la musique, si, pour de vrai et que je connais bien ce grand pays de l'autre côté ? J'ai aussi des tickets restaurant, mais il y a bien longtemps que je ne travaille plus 60 heures par semaines.

C'est à n'y rien comprendre.

vfwh - 07.11.08 à 01:09 - # - Répondre -

Re: Tous des cons

 putain, "mars" et "semaine", fuck my brain.

vfwh - 07.11.08 à 01:12 - # - Répondre -

Re: Tous des cons

Tout texte de cet acabit (en tout cas, les miens) nécessite une forte dose de... caricature (symbolisme, disons). Et je me mets dans le même panier, ayant déjà joui de tickets restaurant et du confort douillet d'un bureau et d'horaires réguliers... Quant à tes goûts musicaux, je ne les mets pas en question, moi-même je vibre littéralement en écoutant Natalie Cardone reprenant dans une version variétoche club Hasta siempre, alors... Ou Rokazino, un immonde groupe danois (sorte de Roxette meets Axelle Red), dont le Dine ojne er sa bla ("Tes yeux sont si bleus", et j'oublie les diacritiques, hein) me met en transe, du moins pendant le refrain, et pour des raisons classiquement nostalgiques. Donc identifie-toi, camarade, et sans malaise. Il n'y a pas de haine dans mes propos. Même quand je déclare "imbécile" un de ces nombreux types ayant voté Sarkozy avant de s'enthousiasmer pour Obama : individuellement aucune haine, c'est juste l'effet de masse qui m'insupporte et me déprime. (L'ambiance de quelques rues de Paris 3e dans la nuit de mardi à mercredi, disons...)

Du reste les blogs ne sont presque lus que par des "employés de bureau", alors je ne vais pas me tirer une balle dans le pied, hein...

Sinon (et surtout), ton texte sur les USA est prodigieux (depuis, j'ai vu en effet ce fameux Ted Stanger 5 fois à la télévision, en ne l'ayant pourtant regardée ce week-end qu'une heure ou deux, c'est dire l'omniprésence du bonhomme) et très éclairant, et j'ose dire que nos deux textes se font en réalité écho (la méconnaissance et l'arrogance de "spécialistes" type Anne Sinclair* sur les plateaux de télé est irritante et motive en partie ce texte sans queue ni tête que tu commentes). Ce qui m'irrite vraiment c'est l'unanimisme en tout, au fond...

*La veille de l'élection, Anne Sinclair demande à Kristin Scott-Thomas -- qui joue La Mouette à Broadway -- sur le plateau de l'émission de Canal+ : "Ca dit quoi aux Américains, Tchekhov ?" Il y a là-dedans tout le mépris des "honnêtes gens" et des horribles frenchies donneurs de leçons que je déteste. "Les Américains sont quand même pas très fins, alors Tchekhov, franchement ?" Venant d'Anne Sinclair, raaah...

Bon, sorry pour cette réponse très bordélique, que je fais un peu dans l'urgence, ça fait deux jours que je me dis "il faut que je réponde à ce type qui a écrit ce si beau texte sur les USA", et je ne trouve que maintenant le temps... A+ camarade globalisé.

60millions - 10.11.08 à 18:20 - # - Répondre -

Re: Tous des cons

Je suis vraiment touché.

En effet, nos deux textes se font tout à fait écho. J'ai lu ton texte juste après avoir posté le mien. J'y ai trouvé, justement, un écho et si j'entame mon commentaire par cette remarque sur l'identification, ce n'est pas par hasard.

Merci pour cette réponse très bordélique. Vive le bordel.

vfwh - 12.11.08 à 00:20 - # - Répondre -

oh je crois que le refus de principe de l'unanimisme est aussi emmerdant que l'unanimisme lui même. il est bon d'avoir un frisson un lendemain d'élection d'un noir à la maison blanche (hahaha un NOIR à la maison BLANCHE). d'ailleurs l'auteur du billet, absolument excellent, admettra peut-être que ce qui le gène n'est pas l'unanimisime mais plus exactement d'être frotté au niveau du poil (qu'il a abondant je crois pouvoir le confirmer, même si je ne l'ai point vu nu je l'ai vu briser des transat sous MDMA dans des contrées lointaines) par cet unanimisme... d'y ressentir un plaisir aussi vicieux qu'une salope de chanson de madonna (ou tiens, de Simon & Garfunkel, j'aime beaucoup Sound of Silence depuis ma tendre enfance) qu'on se sur-prend à aimer, chose que l'on rejette rapidement à la poubelle au nom de notre "radicalisme". Je crois qu'au moment où tout le monde va revenir vers Keynes, où la balance pourrait après les excès que l'on a vécu - et sans protester pour de vrai en plus, sans plus protester qu'avec une posture indignée qui ne nous grandit pas - se rééquilibrer, voir plonger du bon côté, il ne va rester aux "radicaux" que l'anarchisme (parce que si le fanal du radicalisme est porté par un facteur aparathcik, il ne me reste plus qu'à voter pour Pierre Richard) qu'ils détestent au fond mais dont ils peuvent un peu rêver... la seule anarchie que je connais est consubstancielle à la guerre.... il reste celle de la fête, la seule qui apporte un peu d'air dans ce monde de brute. La fête atoujours été un évnement politique. le jour des fous. c'est pour ça qu'on boit ?  je trouve la gauche déprimée. et les anars de droite plus déprimants encore.  Bref... un poil d'autocontemplation, de masturbationcolelctive à observer l'histoire qui se fait, fait du bien. une minute à croire qu'on peut sortir du cocon protecteur de l'indignation posée. pour y retourner dés que la réalité, c'est à dire l'afreuse banalité des choses, reprendra ses droits. allez le boy scout a parlé.

GGG - 13.11.08 à 12:11 - # - Répondre -

Re:

Fichtre ! Et bien parlé ! Toujours cette obsession de la fête (du festif, dirait le sociologue) qui t'honore. Et ce rappel de mes exploits antipodiens me ravit...

Il n'empêche, pour parler sérieusement, que voter pour Pierre Richard doit être une expérience plus jouissive que de boire un thé vert avec l'odieux démocrate Moby...

(C'était sérieux, ça ?)

60millions - 14.11.08 à 18:09 - # - Répondre -

Re:

"l'odieux démocrate Moby". Tu es sublime

GGG - 17.11.08 à 13:24 - # - Répondre -

Re:

Je savais que ça te plairait. C'est amusant comme expression "odieux démocrate". Dans les bons jours, j'appellerais ça un oxymore, 'videmment. Mais en fait il fallait comprendre "membre du Parti démocrate". Qui en doutait ?

60millions - 18.11.08 à 18:16 - # - Répondre -

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