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« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)

Te quiero, te amo ?

Mai 1993, Madrid. Quelque part vers l'est de la ville (métro : je ne sais pas, je vais trouver, grâce au web, dans quelques phrases). Je suis chez mon oncle et ma tante, avec mes cousins et ma cousine. On regarde une daube avec Meg Ryan, en version originale, sous-titrée en espagnol. C'est une comédie romantique. Arrive la fameuse phrase, la mythique I love you. Mon oncle s'insurge : la traduction proposée, Te quiero, lui semble fausse. Il nous explique en long, en large et en travers que les mots ont un sens, que le verbe quiero (rappelle-moi l'infinitif ?) veut dire en vérité je te désire. Je sens qu'il a raison. C'est quand même lui le putain de Madrilène, non ? Même si nous sommes relégués dans quelque chose qui ressemble à la banlieue de cette ville poussiéreuse, nous sommes quand même à Madrid, la capitale de l'Espagne (je pensais encore en ces termes à cet âge-là, je n'avais pas voyagé encore), et bordel, ne nous sommes pas tapés quelques tapas la veille, en rez de chaussée d'un immeuble immonde que j'aurais pu trouver à Grigny (91) ou à Objat (19) ? Avec le recul, je suppose que nous étions à peu près vers la porte de Vanves madrilène. Pas loin de l'autoroute circulaire, des arênes tauromachiques. J'aimais mon oncle. Mais ne parlons pas de ça. Il s'insurgeait : Non, la traduction correcte est Te amo, pas Te quiero. Moi j'avais pris allemand. Mes cousins ne comprenaient pas : mais non, on nous a appris Te quiero. Je ne participais pas à la discussion, j'avais appris à chanter O Tannenbaum et Stille Nacht, heilige Nacht. Toutes les jolies filles de ma classe apprenaient l'espagnol. J'avais été bon élève : je me retrouvais avec les handicapés sociaux, en allemand. Ce soir-là, à Madrid, confusément, je comprenais tout avant l'heure (ou peut-être est-ce une vision rétrospective, bien sûr... Vous n'avez donc aucune poésie ?). Je comprenais tout : l'art subtil de la traduction de sous-titres de cinéma, trois ans avant de m'installer comme traducteur indépendant à Paris. Les nuances de vocabulaire. Les biais. Les artéfacts. L'importance du contexte. Le génie qui préside au choix cornélien. Je comprenais tout. Je comprenais que le débat en était un, que s'il s'insurgeait à propos de ce Te quiero, ce n'était pas seulement parce qu'il ne baisait plus ma tante, la sœur de ma mère, mais aussi parce que sur le strict plan linguistique il n'avait pas complètement tort. Le choix existait. Il était valide d'en discuter. Il n'empêche : dans le film, Meg Ryan disait bien en anglais Te quiero, pas Te amo. Mon oncle aimait ma tante, il ne la désirait plus. Cela se sentait à son attitude, à elle, toute la journée. Elle était un peu morte.

J'ai aimé mon oncle, décédé comme un poivrot après s'être fait quitter pour un tartuffe. C'était un réactionnaire, certes. Mais combien de bouteilles de Marqués de Cáceres n'avons-nous pas descendues, avant nos vingt ans, en l'entendant nous raconter son idée de la vie ? Il avait franchi la frontière dans les années 60, dans des circonstances troubles, que personne n'a jamais vraiment comprises. Il était de droite, en France, dans les années 90, mais je crois, j'espère, j'aime penser que pour passer en France s'il a tué (légende familiale...) c'est au moins une crevure fasciste.

On a de ces sentimentalismes...

(J'ai trouvé la station de métro. C'était Estrella. L'étoile. Oui, cette époque, comme une étoile, brille dans ma mémoire. Il suffit de la convoquer, de l'évoquer, de l'invoquer. Son souvenir me remue fortement, ce soir. Je me rappelle jusqu'au climat, ces jours-là. Je me rappelle des petits verres de liqueur de ce bar de Malasaña, gobés à la queue-leu-leu avec mon cher cousin P., perdu depuis. Je me rappelle que j'étais naïf, puceau, mal rasé. Je me rappelle que dans le train du retour, M. se masturbait fièrement devant nous qui le tancions. C'était un gamin, il découvrait sa pine. Il est mort trois ans plus tard, renversé par un chauffard dans la forêt de Fontainebleau. Je n'ai jamais entendu cri plus affreux et déchirant que celui de ma tante et marraine, sur les lieux de l'accident.)

Nikita Calvus-Mons le 21/03/09 à 06 h 38 dans Littéraire-traître
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Commentaires

Te quiero

 Donc si je te dis Te quiero, ça veut pas dire que je suis un gros pédé ? Parce que I love you man.

Et rassure-toi, tu n'es pas le seul à avoir faire allemand première langue. L'avantage, c'est qu'on a fréquenté l'élite collégienne, loin des enfants de prolétaires. L'inconvénient, c'est qu'on rame un peu pour trouver de l'ecstasy dans une boîte d'Ibiza. Mais je suis désormais trop vieux pour ça (les boîtes et l'ecstasy).

Arnaud H - 22.03.09 à 03:02 - # - Répondre -

Querer, T., querer.

gc - 22.03.09 à 18:53 - # - Répondre -

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