60 millions de social-traîtres
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
Traître à la Paris
Paris mérite-t-elle encore des adieux en bonne et due forme ? Si je devais répondre aujourd'hui à cette question que personne ne m'a posée, j'écrirais : non. Avec un léger pincement. Car ce serait comme nier qu'on a aimé quelqu'un, avec toute la mauvaise foi nécessaire à l'exercice.
Demain, ou ce week-end, je sais que je répondrais oui. Paris m'ennuie profondément. Il est commun d'en dire qu'elle est devenue une ville-musée : belle et froide, à l'image des filles irrécupérables et arrogantes de sa partie ouest, qui parfois encanaillent leurs culs et leurs têtes étriqués vers l'est, jusque dans les bars moisis et cosy du Marais, ou de la Bastille. « Paris la nuit c'est fini », chantait Manu Chao il y a vingt ans ; une valse antichiraquienne reprise régulièrement, sans contenu politique accessible aux touristes et poivrots de passage, par Pierre Carré, aux Noctambules, le bar de nuit de Pigalle. Nul doute que tous les réacs passés, présents et à venir ont entonné et entonneront ce refrain simple, simpliste. « C'était mieux hier. »
Et merde. C'était pourtant mieux hier. C'était moins cher (toutes inflations égales par ailleurs), moins superficiel, moins froid. Il y avait davantage de cinémas, il y avait moins de flics, au sens propre comme (probablement, vu la gueule de l'époque) au sens figuré.
J'entendais ce matin à la radio un gusse non identifié racontant pourquoi il avait quitté Paris en 1963. Le sinistre Marcellin avait déclaré : « Nous allons nettoyer Saint-Germain-des-Prés. » Il paraît qu'on nageait à l'époque dans les volutes de cannabis au premier étage du Flore, qu'on pouvait rouler ses joints aux terrasses des cafés, ce qui semble complètement surréaliste aux observateurs contemporains lâchés dans ce quartier irrespirable, cette antichambre de l'enfer consumériste. Bref : en 1963, Saint-Germain-des-Prés commence à être repris en mains, « nettoyé » (on songe ici à un autre beau travail de nettoyeur, celui effectué par Giulani à New-York : chapeau, l'artiste ! Dans la « ville qui ne dort jamais », il est devenu impossible de commander de l'alcool entre 4 heures et 9 heures du matin ; en tout cas, lors de ma dernière visite, en 2004, ça l'était). En 2009, pour évoquer la politique de la ville à Paris, ne me vient à l'esprit que cette expression très en vogue chez les journalistes sportifs et autres défaillants du cortex cérébral : « on ne tire pas sur une ambulance ».
C'est vrai. Au lieu de cela : on se casse. La décision est prise.
On fait nos adieux. Car on aime Paris, sans plus savoir pourquoi tant la police et les bourgeois de gauche « qui s'assument » (en tant que bourgeois, bien sûr...) font tout pour nous en dégoûter. On aime Ménilmontant et le canal en hiver, bien malgré ces gens. On aime même (bien sûr !) la tour Eiffel. Mais on s'en va. Dans six mois au maximum, on aura quitté, en quelque sorte battus, « abattus, courbatus, combattus » même (pour citer une autre chanson, la magnifique Bruxelles de Dick Annegarn, dont Paris tient le mauvais rôle), la ci-devant « ville lumière ». En attendant, je vais y aller, lentement, probablement de semaine en semaine, de mon hommage particulier à cette ville que je n'ai jamais réussi à quitter jusqu'à aujourd'hui. Vingt textes, un par arrondissement ; comme c'est original, pas vrai ? Je ne vais pas faire mon Léo Malet du pauvre, simplement suivre l'escargot du Ier au XXe arrondissement (où nous vivons encore) et essayer de dégager de ces villes dans la ville mes impressions les plus sincères, récoltées depuis plus ou moins vingt ans. Du bon (beaucoup) et du mauvais (beaucoup). Pour l'occasion, je crée une nouvelle et dernière rubrique à ce blog. « Parisien-traître», bien sûr...
Nikita Calvus-Mons le 19/08/09 à 14 h 50 dans Parisien-traître
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Commentaires
traitre ! quitter Paris que tu aime encore !
GGG - 20.08.09 à 01:01 - # - Répondre -
Je suis peut-être un de ces bobos assumés dont tu parles - enfin quoique pour assumer, bon. N'empêche que je suis parisien. Je n'ai jamais aimé Paris pour ses night-clubs ou sa nightlife. J'aime Paris pour la Seine, pour les troquets, pour la Tour Eiffel et la Porte Saint-Martin. J'aime Paris pour l'alternance de calme et de bordel, de crasse et de propreté, pour ses façades majestueuses suivies de ou intercallées avec de petits immeubles. Même pour le XIIème vers Bel-Air ou Reuilly avec ses immeubles des années 70 et leurs balcons en plastique marron transparent.
J'aime aussi Paris pour les Îles Saint-Louis et de la Cité, le soir entre minuit et une heure du matin de Saint Michel à Sainte-Croix de la Bretonnerie en passant par Pont-Marie.
Aussi, de jour, pour cette cohabitaion tranquille et ostentatoire des époques, des ères, des régimes, merde. J'aime Paris pour tous ces épiciers arabes qui ont jalonné ma vie, ces patrons de bar, auvergnats alternativement racistes fachos ou libertaires.
C'est sûr que plus ça va, plus il y a d'endroits à éviter à Paris. Saint-Germain et Saint-Michel, les Champs, le sommet de Montmartre, une grande partie du Sud-Ouest, Sébasto sud, certaines rues du XIX ou XXème, Bercy (même si le MK2 Bibliothèque ou le Pathé sont plutôt une réussite - mon côté bobo qui parle ?).
Je ne connais plus très bien le XIIIème, la Butte-aux-Cailles est-elle morte ? Pas la dernière fois que j'y suis passé, il y a quelques années. J'aime toujours passer vers Tolbiac-Alésia. Ces quartiers me rappellent toujours mon enfance, c'est déjà pas mal, non ? Même la place d'Italie, Blanqui et les Gobelins (Mouffetard, je n'ose plus y aller en revanche).
Où allais-je, dans le bus 21 à 10 ans ? Je le prenais si souvent. Allais-je à Saint Lazare pour prendre le train pour Versailles ? Je ne sais plus où j'allais, mais je me souviens de la rue Monge et Gay-Lussac et de Glacière.
Si tous ceux qui aiment Paris s'en vont, mais qui va-t-il rester ?
Et en plus ils vont foutre leur merde aux Halles et construire des tours de Jean Nouvel. Au secours !
Anonyme - 20.08.09 à 04:20 - # - Répondre -
← Re:
C'est vraiment une question de point de vue. La Butte-aux-Cailles, depuis que je la connais (1996, disons), m'a toujours semblé factice et... morte.
Il y avait La Folie en tête, un bon petit troquet, c'est vrai. Mais à part ça... Passé deux heures du matin, le désert, provincial... Et la Butte-aux-Cailles a été un des premiers lieux qu'ont tué les "bobos" dont tu te revendiques (je n'ai pas employé le mot, à dessein : il est presque trop gentil, trop niais, trop infantilisant ; "bourgeois de gauche", ça les énerve !), je me souviens justement d'en avoir pas mal parlé avec le patron du rade en question. On avait identifié le processus qui se reproduirait assez vite dans le Xe, peu de temps après. Attirés par le charme des quartiers "populaires", une fois installés et après avoir procréé, les bobos se transforment en flics de voisinage et font fermer (ou découragent) tous les bars. Résultat ils vivent dans un Disneyland aseptisé où les prix flambent, ce qui vire les pauvres. Bon, on connaît tout ça, je vais pas en rajouter. Mais franchement, la Butte-aux-Cailles...
60millions - 20.08.09 à 16:51 - # - Répondre -
Vive le Paris-traître !
Je me réjouis à l'avance de cette série de textes. Par rapport à Paris, je navigue entre adoration et détestation. Mais c'est comme ça depuis que j'y habite. Je me casse bientôt aussi. Vers l'est ou vers l'ouest, je ne sais pas trop encore.
monierza - 21.08.09 à 10:11 - # - Répondre -
Hilton est laide
Moi j' aime Paris comme le chantait Renaud dans "Amoureux de Paname" en 75 : l' odeur des poubelles et la tour Montparnasse.
C' est sûrement dû au fait que je suis un pur produit de la banlieue (parfois encore) rouge, avec son périphérique, son parfum d' Afrique (témoin de l' Histoire), sa voirie déficiente et sa nature triomphante, ses acacias aux troncs noirs, son asphalte rouge délavé (symbole), son canal de St Denis -ses écrevisses et ses chats morts flottants à sa surface (un jour j' y ai même vu un chien mort -un berger allemand-, coincé ds une porte d' écluse)-, ses vestiges des fortifs, ses terrains vagues dépaysants tenant à la fois de la Pampa, de la Savane, de l' Amazonie -avec ses gazoducs désaffecté qui vous avaient des airs de cités perdus au milieu de la jungle-, de Mars et de Maubeuge -maintenant ce terrain vague a été rasé pour y construire dessus le grand stade de France, même la banlieue fout le camp ...
Je me souviens d' un trajet pédestre éprouvant, sous l' emprise de je ne sais plus quel stupéfiant, allant de St Germain des Prés jusqu' à la Gare du Nord : je retrouvais mon souffle au fur et à mesure que je me rapprochais du Xème, avec ses salons de coiffure afro, ses toxicos et ses clodos ; j' oubliais le sentiment d' oppression et d' humiliation de classe (sentiment que je n' ai pas ds les quartiers de la bourgeoisie de droite, où j' aime déambuler en m' y perdant) pour retrouver la paix de l' esprit, chez les miens.
Donc j' aime beaucoup Paris, et je vais suivre votre feuilleton avec intérêt.
_
PS : à propos de la gentrification des quartiers populaires, il parait, pour je ne sais plus quelle raison, que celle de Barbès a foiré.
Rassurant, non ?
Au Poteau ! - 21.08.09 à 16:32 - # - Répondre -
← Re: Hilton est laide
Beau commentaire. Belle évocation de cette dérive vers "chez les miens"... Je commence le "feuilleton" cette semaine avec le 1er arrondissement, j'espère être aussi lyrique que vous...
60millions - 24.08.09 à 17:00 - # - Répondre -
← Re: Hilton est laide
Mouef, je sais pas qui a dit qu'elle a foiré la gentrification de Barbès, mais à la Goutte d'or, elle va piano et sano j'ai l'impression (que 7 ans de recul ceci dit).
Sinon, trahir Paris ok, mais pour embrasser qui ? Vivre au quotidien avec qui d'autre en France ?
C. - 25.08.09 à 13:57 - # - Répondre -
← Re: Hilton est laide
Oui, il y a des sujets qui me rendent un petit peu émotif.
Pour le lyrisme je vous fais confiance : il semblerait qu' une bonne vieille interpellation abusive le fasse gicler de manière tout à fait satisfaisante ...
La gentrification de Barbès : le type (je ne sais plus qui, à la radio) parlait de hauteur de vitrine des magasins comme cause d' échec, ou quelque chose comme ça (?) ; en fait j' écoutais mollement et je crois n' avoir rien compris, je préfère faire confiance à un témoin direct comme vous, hélas.
Pour la play-list : "La Balade des gens qui sont nés quelque part" de Brassens.
Au Poteau ! - 26.08.09 à 02:16 - # - Répondre -
← Re: Hilton est laide
Hauteur de vitrine et gentrification hmm... C'est rigolo. Et peut-être vrai. EN TOUS CAS, depuis deux bonnes années, il y a un caviste dans la rue Myrha, RHA ! Bon, ça c'est assez chouette, mais rue Léon il y a aussi un magazin de linge de maison classe genre même t'es classe moyenne tu peux pas, d'ailleurs c'est tellement cher qu'il n'y a pas les prix dans la vitrine. Ou alors elle est trop haute, j'ai pas vu.
C. - 27.08.09 à 15:56 - # - Répondre -
← Re: Hilton est laide
Rue Léon ? Du linge de luxe ? Ah oui, alors là, effectivement, c'est ce qu'on appelle de l'embourgeoisement radical !
Pourquoi pas un Fauchon rue Myrha ?
60millions - 27.08.09 à 17:58 - # - Répondre -
Chanteurs belges
Chez les chanteurs belges qui aiment leur ville, tu peux essayer Daniel Hélin: Ottignies...
Anonyme - 23.08.09 à 21:59 - # - Répondre -
← Re: Chanteurs belges
Je le note, en précisant que Dick est néerlandais (mais c'est pareil).
60millions - 24.08.09 à 16:55 - # - Répondre -