60 millions de social-traîtres
« Chaque homme sait, au fond de lui, qu'il n'est qu'un tas de merde sans intérêt. » (Valerie Solanas)
vendredi 23 octobre 2009
Estoy en la casa y estoy bebiendo gin
Je pisse, et j'entends cette fois Baby Bird chanter son merveilleux Bad Old Man. Il y a ce vers : « Make everyone know that he's happy ». J'en isole le make everyone know, parce que j'entends presque make everyone he knows. Et je me dis : trois lettres de plus, trois lettres de moins, le sens change tellement.
Et je me pense, comme dit joliment le traducteur de Brautigan : « J'apprends l'espagnol ces temps-ci, et ce genre de subtilités, quelques lettres, quelques accents, ça change tout. »
Et aujourd'hui je ne comprends rien aux accents en espagnol, et une partie de moi se dit « mais ce n'est pas grave, on te comprendra » et l'autre se, et me dit : « tu seras toujours un Français parlant (mal) espagnol ».
And what the fuck ?
Nikita Calvus-Mons à 22 h 23 dans Traduc-traître - Lien permanent - 0 commentaires
mercredi 11 février 2009
Quatre dont d'un coup (dont-dont-dont-don)
Traduire (les pédants disent rendre) « soda-shop pop » par « pop sucrée » est une sorte d'amusant contre-sens — biochimique là encore — dont tout le monde, j'en ai bien les foies, se moque éperdument. « Se moquer éperdument » est l'un de ces clichés idiomatiques dont il est difficile d'évaluer le pouvoir de nuisance sur le style, ce mot galvaudé dont personne n'a de véritable définition, à part pour dire, par exemple, que Dantec n'en a pas et que Céline, pardon !
Nikita Calvus-Mons à 18 h 26 dans Traduc-traître - Lien permanent - 1 commentaire
dimanche 18 novembre 2007
Culture minimale
Je lis un bouquin américain et je m'énerve en permanence contre la traduction. Les dialogues, notamment, en pâtissent sévèrement. Sans repasser mentalement par l'américain, je parie qu'un lecteur monoglotte n'y comprend pas grand-chose. À quoi sert une telle traduction ?
Quelques exemples. En parlant des influences culinaires dans un restaurant branché :
— Il y a certainement une influence de la ceinture du Pacifique aussi, ajoute Stephen.
Ici c'est le « certainement » qui bloque : d'abord, la formulation n'est pas très naturelle en français ; ensuite il y a contresens, l'usage (plus que probable, même si je n'ai pas l'original sous la main) de l'adverbe « certainly » dans ce contexte voulant bien dire ce qu'il veut dire (l'influence est certaine) alors qu'en français on est, comme avec « sans doute », dans le soupçon, l'hypothétique, le peut-être — la non-certitude. Alors pourquoi ne pas opter pour « Il y a aussi une influence certaine de... » ? Bien sûr on transforme un adverbe en adjectif, la structure bouge, mais le sens est gardé. Le sens avant tout ! (Au passage, on remet le « aussi » à une place plus naturelle en français, alors que « too » vient souvent à la fin des phrases en anglais.)
Autre problème chez ce Pierre Guglielmina : le manque de culture. De sous-culture rock, plus exactement (je ne doute pas que l'animal soit très cultivé par ailleurs). Et côté références musicales, on n'est jamais dans du très pointu avec l'auteur, jugez plutôt, dans ce bout de dialogue de séduction. L'homme :
— Le temps des hésitations est terminé, dis-je dans ses cheveux, me pressant contre elle (...)
On reconnaît, même sans avoir lu le livre, le vers de Light My Fire, un des morceaux les plus célèbres des Doors, pas exactement un groupe d'inconnus. « The time to hesitate is through. » Il faut rendre apparente, d'une manière ou d'une autre, cette référence : note de bas de page, au pire, et au mieux, faire ce que le traducteur fait ailleurs : laisser en anglais dans le texte. Mais il eût fallu pour cela décrypter la référence. Et quand il laisse parfois de l'anglais, il le fait au mépris du lecteur monoglotte, sans traduction en bas de page, et à des endroits où traduire poserait en fait beaucoup moins de problèmes. Exemple, où le narrateur ironise sur la culture reggae :
— Bon, on pourrait au moins écrire une chanson qui ne serait pas du reggae et qui ne commencerait pas par « I was a trippin in da crack house late last night » ? dis-je. Ou un truc du genre « Dere's a rat in da kitchen — what I gonna do ? »
Pire, plus tôt dans ce chapitre, le narrateur est accueilli par les moqueries de ses compères, qui reprennent à son intention quelques paroles de Tommy des Who. Paroles laissées logiquement en anglais, sur six lignes de dialogues parfaitement incompréhensibles pour le lecteur ne comprenant pas cette langue, c'est-à-dire le client idéal de cette traduction. La note du traducteur est-elle une idée qui se perd ?
De même, la phrase « We'll slide down the surface of things... », extraite du Even Better Than the Real Thing de U2, sert de leitmotiv à un chapitre entier du roman. Nulle part elle n'est traduite pour le plouc qui ne la comprendrait pas.
La logique de tout cela m'échappe. Le livre est un best-seller, Glamorama, de Brett Easton Ellis. Si on doit refaire mentalement la traduction dans deux ou trois sens pour comprendre les dialogues, je me permets de dire qu'il y a peut-être un ratage quelque part, surtout dans un livre qui est littéralement truffé de dialogues et de références culturelles. Le narrateur Victor Ward utilise comme répliques des paroles de chansons en permanence. En gros, à chaque fois qu'une phrase sonne vraiment mal dans la traduction, vous pouvez être sûr qu'il y a anguille sous roche, et qu'une note explicative aurait peut-être été bienvenue...
Nikita Calvus-Mons à 20 h 56 dans Traduc-traître - Lien permanent - 7 commentaires
dimanche 14 octobre 2007
Charles Starkweather & Caril Ann Fugate
Deux amoureux, genre Sid et Nancy, mais qui eurent le bon goût de tuer d’autres personnes, au lieu de se tuer eux-mêmes. Charlie « Little Red » Starkweather, habillé de jeans, les pieds en dedans, haut d’un mètre cinquante-sept, sous ses faux airs de James Dean, aimait les grosses bagnoles et la chasse. Adolescent, ce natif du Nebraska emportait sa .22 Long Rifle presque partout où il allait, et il la traînait avec lui lorsqu’il alla rendre visite à Caril Ann Fugate, quatorze ans, le 21 janvier 1958. Caril n’était pas chez elle, alors Charlie décida de s’amuser avec le fusil en attendant. La mère de Caril, qui ne portait déjà pas Little Red dans son cœur, hurla sur Starkweather et lui envoya une baffe, parce qu’il jouait avec une arme mortelle dans sa maison. Il lui rendit sa baffe et, alors que le beau-père de Caril tentait d’intervenir, Starkweather les abattit tous les deux. Quand Caril revint à la maison, Charlie étouffa sa sœur de deux ans en enfonçant le canon du fusil dans sa gorge. Caril, qui s’ennuyait, alluma la télévision pendant que Charlie faisait des sandwichs et emballait les cadavres dans des journaux. Après avoir bien nettoyé, il rejoignit sa tourterelle devant la télé. Caril plaça un bout de papier sur la porte d’entrée qui disait : « Tout le monde est malade de la grippe. »1 Elle chassa les policiers qui étaient venus enquêter. Les flics revinrent, sous l’insistance de parents soupçonneux de Caril, mais le couple tueur avait déjà filé.
La semaine suivante, ils dévastèrent les États des Grandes Plaines sous un froid sibérien, tuant sept personnes avec l’insouciance et l’enthousiasme que seuls des amoureux peuvent comprendre. Guidés par Cupidon, ils purent se faufiler à travers un barrage de deux cents gardes nationaux du Nebraska. Avec douze cents représentants de la loi à sa poursuite, la paire fut finalement arrêtée sur une route du Wyoming. Au début, Charlie tenta de plaider l’innocence de Caril, mais il changea de chanson quand elle lui mit les meurtres sur le dos. Little Red fut aussi reconnu coupable du massacre d’un employé de station-service datant d’avant sa cavale avec Caril. Il grilla sur la chaise en juin 1959, alors qu'à l'extérieur de la prison une horde de minettes en pamoison le veillait. Caril bénéficia de la liberté conditionnelle en 1976. Le film Badlands, avec Martin Sheen et Sissy Spacek dans les premiers rôles, est inspiré de leur histoire, mais le superficiel couple d’acteurs ne réussit pas à recréer la banale niaiserie amoureuse des vrais protagonistes.
Jim Goad, ANSWER Me!, numéro 2
1 Jeu de mots involontaire (faute, plus probablement) intraduisible : « Every Body [sic] is Sick With the Flu. » Everybody, l'orthographe correcte, veut dire « tout le monde ». Every body veut dire « chaque corps », « tous les corps ».
Nikita Calvus-Mons à 09 h 14 dans Traduc-traître - Lien permanent - 0 commentaires
jeudi 11 octobre 2007
Journal de traduction (4) et gressions (10)
L'accélération du rythme fut aujourd'hui patente, jusqu'à 1000 mots en une heure. Le vocabulaire est plus simple, les phrases moins torturées par les adjectifs composés, ces fouteurs de merde, et j'écris au kilomètre. Je ne relis (je n'ai relu) la totalité qu'à la fin, quand l'anglais ne me pollue pas ; c'est aussi un gain de temps — de productivité dirait Sarkozy, qui est un peu mon mentor quand je travaille. Surtout, je connais la plupart des artistes concernés par cette fournée de textes ; je comprends donc le contexte tout de suite et ça me permet de ne pas avoir à fouiller le Net pour réécrire en bon français une phrase sur Boys Don't Cry par exemple.
Mais le matériau de base est quand même écrit à la truelle : les « depths of a deep depression » ne sont pas traduisibles sans dommages en « profondeurs d'une profonde dépression ». Certes on garderait l'allitération originale, mais il ne faut quand même pas déconner. De toute façon je l'ai déjà dit mais j'aime marteler, surtout quand je me parle à moi-même : il s'agit d'adaptation autant que de traduction.
(Étrangement, ces approximations passent en anglais, mais sont beaucoup trop voyantes en français. Ou alors c'est qu'elles me choquent moins en anglais parce que ce n'est pas mon idiome maternel.)
Rock 'n' Roll N****r
Les Américains n'aiment pas du tout les gros mots. Un morceau de Patti Smith change ainsi de titre. Deux même ! Décidément, la vieille est bien malpolie. Rock 'n' Roll Nigger et Piss Factory (renommé, avec les puritaines étoiles : P**s Factory, et j'avoue que je ne voyais pas du tout quel mot pouvait ainsi être censuré — ça ne s'arrête vraiment pas au « F word », leur hystérie...).
Cup of joe
Expression américaine pour désigner le café. Traduire par un coup de caoua est bien tentant. J'ose, j'ose pas ? (Finalement, pas osé.)
Cattle punching
Je suis amoureux du Robert & Collins, qui prévoit tout. Même si le contexte me dit clairement que l'expression désigne la conduite du bétail (par les cowboys, en l'occurrence), je ne connais grosso modo qu'un sens du verbe to punch, et je suis assez perplexe. Et puis voilà, ce bon vieux Bobby m'explique. Seconde définition du verbe : « b (US) to punch cattle conduire le bétail (à l'aiguillon) ». Qu'il est beau Bob ! et pas bobo en plus. Quelle précision, et que c'est rassurant un bon dico (et un mauvais, comme le Harrap's New Shorter, assez angoissant — en revanche le Harrap's en quatre volumes est un chef-d'œuvre méconnu, et il n'est plus publié, il me semble — il était très riche en vocabulaire, je me souviens qu'il m'avait sauvé plusieurs fois la vie, avant Internet, lorsque j'étais en train de traduire des textes sur les animaux — les poissons et les oiseaux notamment, taxonomie plutôt compliquée et dont la connaissance ne s'improvise pas — tu n'aimes pas les tirets ? moi si).
Pause café
Je fais mes pauses café sur Facebook, assez rigolo en fait, où je retombe dans une sorte d'insouciance débilitante certes mais rafraîchissante. Un copain vient ainsi de me « hadoukener » dans une sorte de combat virtuel débile (après m'avoir jeté un mouton à la gueule, ce qui est très Monty Python). Qu'est-ce qu'un hadouken ? Apparemment, une attaque genre boule de feu dans Street Fighter. OK. D'accord. Je vois. Pour mémoire, j'ai trente-trois ans et je suis sérieux. Je ne prends jamais de drogues, je me lève tôt, je ne travaille pas le sexe à l'air devant mon ordinateur, et je connais par cœur le plan comptable. J'aime le cinéma français contemporain, Amélie Nothomb et James Blunt. Merde, je suis adulte, quoi !
Revenons à l'autre mouton. La traduction.
Bulletproof
En traduisant le mot bulletproof, je me rends compte que l'étymologie des deux locutions est (comme souvent) exactement la même : « à l'épreuve des balles », balleprouvé quoi.
Zi End
C'est la fin de la journée, ai-je besoin de vous rappeler que Monsieur Untel joue ce soir au Vaisseau fantôme, 65 quai de Seine, dans le XIXe, à 20 h 30 ? Non, je ne crois pas. (« Sournoise prétérition », comme dirait le Bibelot.) J'y serai.
Et puis tiens, pour finir la journée, et avant d'aller faire caca, une phrase drôle à propos d'un clip de Rammstein, trouvée sur un site dédié aux gais Teutons (et non pas aux gays teutons) : « C'est une actrice d'opéra russe qui joue Blanche-Neige dans Sonne. En revanche, à certains moments où il est impératif que Blanche-Neige apparaisse plus grande que les nains joués par Rammstein, c'est un grand basketteur du nom de Robert qui porte une perruque qui apparaît à l'écran. »
Ain't that funny? La phrase elle-même est hilarante, et les virgules ou parenthèses manquantes, autour de la perruque, encore plus.
Nikita Calvus-Mons à 19 h 11 dans Traduc-traître - Lien permanent - 2 commentaires
mercredi 10 octobre 2007
Journal de traduction (3)
La traduction peut être un labeur épuisant dont on ne voit pas le bout. Je suis toujours dans les adjectifs composés (« a side-project-turned-full-time venture », « guitar-worshipping colour schemes », ou encore « flea-infested serape »), décrivant des chansons que je ne connais que trop rarement (en effet, pour un Siouxsie and the Banshees, combien de Billy Joel ?). Le vocabulaire employé est vraiment varié, ce qui me ralentit. J'estime à présent très précisément ma vitesse de croisière pour ces textes : du 500 mots à l'heure, ce qui est assez lent, en fait. Sur des textes mieux écrits et au vocabulaire plus classique, la vitesse peut presque tripler, et la concentration est plus forte puisqu'on ne se disperse presque plus en recherches « documentaires ». Évidemment c'est le taux de consultation du dictionnaire qui conditionne en grande partie la vitesse du traducteur. Et il me faut aussi constamment aller chercher, par exemple, les titres français des films mentionnés — ce sont des textes sur la musique, oui, mais celui sur Morricone parle aussi de cinéma, ce qui est d'une logique qui n'échappera qu'à peu d'entre vous. Par exemple, L'Ultimo Treno della notte, même moi qui ne suis pas très italophone, je vois bien le coup que ça voudrait dire, par exemple, Le Dernier Train de la nuit. Mais évidemment, les traductions françaises des titres de films, on l'a assez vu ici, ne sont presque jamais littérales. Ici, c'est La bête tue de sang froid. Bon, eh bien c'est autant de temps perdu sur l'IMDB, ça. Autre motif fréquent de recherche documentaire : une formulation imprécise comme celle-ci, à propos de Nancy Sinatra, dont je ne connais presque rien, à part qu'elle a chanté des bijoux de Lee Hazlewood, comme Summer Wine :
« You get a different vibe from her jazzy version of "California Girls" — her original band (L.A.'s highly regarded Wrecking Crew) also worked sessions with the Beach Boys. »
Le Wrecking Crew, ce n'est pas du tout le premier groupe de Nancy Sinatra. En cas de doute, recherches, parfois un peu longues. Et souvent, devant l'évidence, obligation de réécrire un peu, donc. Un problème similaire s'était produit la semaine dernière à propos des Foo Fighters. Selon le texte source, foo fighters était le nom d'un programme de recherche américaine sur les ovnis pendant la Seconde Guerre, programme duquel le groupe de Dave Grohl avait tiré son nom. Bullshit. Heureusement que je veillais au grain. Mais perte de temps. D'où vitesse lente.
Mais je ne me plains pas. De temps en temps pour le fun je traduis du Jim Goad : ça va très vite. Ma version française de son texte déviant sera bientôt en ligne ici.
Nikita Calvus-Mons à 19 h 36 dans Traduc-traître - Lien permanent - 0 commentaires
jeudi 04 octobre 2007
Journal de traduction (2)
Steel-jaw-trap-tight
L'exercice du jour consistera à décomposer à peu près correctement cet adjectif composé de quatre mots, qualifiant en l'occurrence une section de cuivres funk. Non, ce n'est pas « tendu comme un slip ». Remarquons, amis fidèles, la présence, l'omniprésence même de cette jaw, la mâchoire, qui semble fasciner l'anglophone féru de métaphores percutantes.
Nikita Calvus-Mons à 18 h 14 dans Traduc-traître - Lien permanent - 0 commentaires
jeudi 27 septembre 2007
Journal de traduction (1)
Pendant que je travaille, je prends des notes, qui font des posts pas chers. (Je ne dirai pas pour qui ou quoi je fais ces traductions, par pur réflexe paranoïaque de cloisonnement, mais disons que c'est lié à la musique, quoi.)
Santana
Tout d'abord ce qui est amusant dans la traduction, c'est qu'on n'a pas le choix des mots. Ou plutôt si : bien sûr, et surtout dans une optique d'adaptation à un marché francophone, on possède une certaine liberté. Mais le fond doit rester. Le ton. Ici, il est à mi-chemin entre la prose journalistique et les publications destinées à faire vendre, comme le journal des cinémas MK2 ou le magazine de la Fnac. Rectification : c'est donc de la prose journalistique. Or la prose journalistique, dans le domaine musical au moins, informe moins qu'elle vend. Avec enthousiasme. Ainsi je dois vendre, avec la même vigueur que pour le Velvet Underground, du Santana ! Et moi qui déteste sa musique je suis quand même bien obligé, professionnellement, de constater que son groupe est un « pilier du funk-rock ».
L'adjectif composé
Et même le verbe composé : bend-shape-burst, par exemple. Allez traduire ça sobrement. Impossible (qui, pourtant, n'est pas français !). L'adjectif composé, lui, présent trois à quatre fois par paragraphe, quand ce n'est pas par ligne de texte, est le pilier (mainstay) de cette prose gonflée aux hormones. En français, ça ne se fait pas. Exemple simple : a blue-eyed girl n'est pas une fille yeux-bleuis (encore que ce soit très joli, mais on voit bien entre autres le problème de l'accord, insoluble). Les anglophones inventent des mots tout le temps par ce procédé, selon différents schémas : adjectif-participe passé (blue-eyed, donc), nom-participe passé (airborne, qui a certes perdu son trait d'union mais veut bien dire à l'origine : « apporté — borne — par l'air », c'est-à-dire aéroporté, souvenez-vous des airborne rangers), adjectif-gérondif (hard-grinding), nom-gérondif (jaw-breaking, un de mes préférés, très imagé), nom-adjectif (bullet-fast), etc. Tout existe, ou presque. J'ai couché avec une Provençale qui en avait fait un mémoire de grammaire anglaise, assez rébarbatif, sauf pour moi que ça intéressait à deux titres.
« Jaw-breaking blowjobs »
Non, ça je ne traduis pas. C'est juste que je viens de trouver l'expression en cherchant des occurrences de jaw-breaking sur le Net. J'imagine la traduction québécoise (littérale, souvent) avec un certain effroi... Remarquons tout de même la facilité de création de mots de l'anglais : blowjob a lui aussi perdu son trait d'union, anobli par la substantivation, mais c'est bel et bien à l'origine un nom composé. Sur un plan strictement érotique, le sens du mot laisse d'ailleurs perplexe et je n'ose imaginer les premières pipes administrées par les adolescentes américaines — qui, paraît-il, en sont friandes avant l'âge de coucher. En tout cas, blow veut bien dire, amis non férus d'anglophonie, souffler. Ainsi, to blow an egg : vider un œuf (en soufflant dedans), nous disent Robert et Collins.
Chum
On oublie parfois l'évidence. Le Québécois aime la traduction littérale, l'anglicisme pur, non dilué, tordant jusqu'à sa grammaire, salement pervertie par l'occupant, ce qui ne l'empêche jamais de donner des leçons de vocabulaire au Français, mais je m'égare... En tout cas, oui, l'évidence frappe : « mon chum », c'est de l'anglais. Comme dans jam chums, des copains de jam (ou de bœuf). Mon chum : mon copain. Ma blonde : ma copine, qui peut être brune. Le Québécois est fantasque.
Traduction littéraire (just a bit of)
Quand dans la prose marketing est cité un poème de John Coltrane, traduit-on ? Non. Cherche-t-on une traduction déjà existante, en mentionnant le nom du traducteur ? Normalement, oui. Là, non. On contourne, on périphrase. Le format final ne se prête pas à l'érudition.
Vulgarisation
Parler en deux paragraphes et demi du jazz mystique avec des termes sérieux et philosophiques, là aussi, ce n'est pas possible, dans un tel contexte. Dès le troisième paragraphe, on emploie donc la méchante métaphore : Star Wars, Luke, Yoda, la Force. (Étrangement assez, comme disent avec ironie les Anglais, c'est beaucoup plus simple à traduire. Les Anglais parlent comme ça dans Goscinny, je veux dire.)
Ivory-tickling
Toujours dans l'adjectif composé, vous dis-je. Si vous doutez du sens exact de celui-ci (le contexte aide beaucoup, oui), dans le dictionnaire c'est bien sûr à tickle que vous irez chercher. Il n'y aura jamais assez de place pour tous les adjectifs potentiellement composables. Alors, que fait-il donc avec l'ivoire, ce tickle ? Dico. En réalité ce n'est même pas la peine car j'emploierai de toute façon une autre expression — j'adapte plus que je ne traduis, remember — mais je vais toujours chercher dans le dictionnaire, simple gymnastique qui finit toujours par payer, et enrichit un peu le vocabulaire...
L'angoisse du traducteur au moment de traduire l'évident
« Steadfastly refusing to pander or play it safe » : la traduction m'échappe, je l'ai au bout de la langue. Quelle irritation, alors que si j'avais écrit moi-même, directement en français, un texte de ce genre, j'aurais trouvé sans réfléchir, ça aurait coulé de source. Là, je ne vois plus. Sorte d'angoisse de la page blanche, assez similaire à ces moments où on cherche quelle chanson nous en rappelle une autre. On trouve une heure plus tard, presque toujours. Mais on a souffert. Là, je n'ai pas une heure, alors je saute la phrase, enfin, je la traduis mal, et j'y reviendrai à la relecture finale, pour ne pas être pollué par l'anglais.
Joy Division
Je ne l'ai pas fait exprès (le groupe apparaît juste derrière trois morceaux de Joni Mitchell mal rangés, dans mon iTunes) mais l'écoute de Closer en intégralité pendant qu'on traduit des choses sur le confessional folk de Joni Mitchell ou l'immense succès commercial de l'infâme Lionel Richie, ça vous a une sacrée gueule.
Hit
J'aime traduire hit par « tube ». Désuétude, années 60... En revanche, comme je ne suis pas Stéphane Bern le glougloutant, je n'emploie jamais le mot « simple » pour désigner un... 45 tours (bougez, les jeunes). Mais bien single, en italiques. Faut pas pousser mémé dans les orties, comme disait à peu près Omar Raddad.
Usage audacieux du mot « ritournelle »
Et pourquoi pas ?
Le miel de Lionel
Je viens d'écrire que « Lionel [Richie] savait aussi se montrer fort, derrière le miel. » Je crois qu'il y a matière à se suicider, non ? Mais enfin, vraiment, à propos de Lionel, mes employeurs y vont très fort. Comme si à mon instar (je ne voulais pas répéter « comme », là) ils ne croyaient pas un instant à ce qu'ils disaient, ce que je n'ose même pas imaginer. Quand même, n'y a-t-il pas une mégatonne d'ironie dans la description de son art : « synth-swaddled pop jams and plush ballads » ? (C'est là-dedans que j'ai mis « ritournelle ». Moqueur aussi je suis.) Et alors, vraiment, Decades, le sublime Decades qui clôt Closer ! Ça m'aide beaucoup à oublier la sale tronche du sirupeux. Synth-swaddled... Je t'en foutrais !
Ear-bleed level
En voilà un joli, non ? Nous, on dit « seuil de douleur ». C'est plus technique. Sobre. Moins artistique. Eux, ils disent littéralement : « monte le ons' jusqu'à ce que tes oreilles saignent ». Les boîtes des pédales d'effets pour guitare sont bourrées de ce marketing hilarant, de cette langue pour trisomiques.
Zi End
Bon, et sur ce je vous salue, Marie. Non sans un autre acrostiche, comme ça, en passant, car j'aime l'acrostiche et non moins l'obsession sublime dont il témoigne : Généralement / En été / Ma mère / Arrête de fumer. Quand je vous le dis que je suis un poète.
Nikita Calvus-Mons à 18 h 16 dans Traduc-traître - Lien permanent - 0 commentaires
mercredi 28 décembre 2005
Je suis meilleur que Laurence Romance
Il y a des bons côtés à être un gamin de trente et un ans à Noël. Les cadeaux sont de bons bouquins, parfois. Lunar Park (Ellis), un Russel Banks, tiens, pourquoi pas, un Régis Jauffret, dont on dit un peu partout qu'il est un des deux ou trois seuls écrivains français potables... Bonne moisson.
Enfin, pour le Ellis, c'est évident.
Pour les deux autres, attendez donc la fiche de lecture : si toujours pas publiée fin janvier, c'est qu'ils ne méritaient rien d'autre que l'indifférence, et finalement, c'est assez probable, surtout Jauffret, qui m'a emmerdé lors du feuilletage, entre la dinde et la bûche.
Pas comme Ellroy, que je dévore enfin (Trilogie Lloyd Hopkins) après avoir rebouffé les nerds Microserfs de Douglas Coupland. Pas comme, non plus, le Journal de Kurt Cobain, (mal) traduit par Laurence Romance, mais qui demeure un document intéressant.
Non, allez, pas si mal traduit... Mais j'ai eu quelques énervements à la lecture de deux ou trois bourdes évitables. Le batteur traducteur que je suis ne pouvait pas ne pas relever celle-ci, p.114-115 de l'édition 10-18 : « On all drums, get rid of hi-hat hiss », traduite hâtivement par « virer la charleston », alors qu'il ne s'agit que de corriger les aigus ou les bruits parasites dudit charley, probablement, sinon, Dave Grohl aurait fait la gueule... De même, pinaillage sans doute, mais j'aurais traduit, p. 129, « I am threatened by ridicule » par « Le ridicule me guette », plus que par le choix pas très précis et même probablement faux de Romance « J'ai peur du ridicule »... En tout cas, notes de musicien (et de producteur, ce que j'ignorais) assez intéressantes, dans ce journal. Pour tout le reste, notamment la philosophie adolescente, banalement dépressive, pas franchement une lecture inoubliable.
Au fait, les éditeurs, la musique ne paye pas beaucoup, je cherche des traductions et des corrections à effectuer, et je peux vous assurer que je suis bien meilleur que Laurence Romance. Bougez-vous. Faut que ça me tombe tout cuit dans le bec, sinon, comme Cobain, je vais écrire un journal blindé de haine contre cette société pourrie qui ne sait pas reconnaître le talent. Et ça emmerdera tout le monde.
Nikita Calvus-Mons à 03 h 35 dans Traduc-traître - Lien permanent - 3 commentaires